L'émeute du 5 avril 1932


Extrait du Daily News, 6 avril 1932


L'édifice du Parlement endommagé par des projectiles.
Une charge au bâton déclenche une émeute destructrice.

Une manifestation vire à l'émeute quand un ordre à la police de défendre l'entrée de l'Édifice Colonial au bâton provoque la rage de la foule — Les fenêtres et les portes cassées, près d'une douzaine de policiers et de civils blessés
PROTÉGÉ PAR LE CLERGÉ, LE PREMIER MINISTRE ÉCHAPPE À LA FURIE DE LA FOULE

Toutes les fenêtres de l'Édifice Colonial sont brisées, le Premier Ministre est un quasi réfugié et le maintien de l'ordre dans la ville est confié à l'autorité de réservistes : tel est le bilan des troubles qui ont marqué la culmination de semaines de protestations et de doléances face à l'incurie du gouvernement. Hier après-midi, une énorme manifestation de citoyens protestant dans la paix et le respect de la loi s'est soudain métamorphosée, suite à une gestion maladroite des autorités, en un déchaînement de violence que l'on pert comprendre, sans pour autant l'entériner.

Hier, à 14 h 15, la salle du Théâtre Majestic était remplie d'hommes et de femmes, et la rue Duckworth était une masse grouillante d'humanité impatiente de défiler jusqu'à l'Édifice Colonial pour soumettre aux membres de la Chambre d'Assemblée les résolutions adoptées la veille en vue de contraindre la Législature à enquêter sur diverses accusations visant le Premier Ministre et le Secrétaire d'État.

Avant le défilé, l'auditoire assemblé au Majestic a entendu M. H. A. Winter, K.C., décrire les procédures à observer, implorant les gens d'éviter toute infraction à la loi ou tout acte de violence susceptibles d'invalider l'esprit du mouvement.

Des anciens combattants, des réservistes de la Marine et des membres de la Marine marchande devaient prendre la tête du défilé, qui allait prendre la rue New Gower jusqu'à la rue Queen, descendre sur la rue Water qu'il suivrait jusqu'à la rue Prescott, monter la rue Prescott jusqu'à la rue Duckworth et, de là, jusqu'à la rue Cochrane, qu'il remonterait jusqu'à la rue Military et à l'Édifice Colonial. Quelque 2 000 manifestants, hommes et femmes, ont pris le départ et, à leur arrivée au Parlement, 1 500 autres s'étaient joints à eux.

Avant l'entrée dans le bâtiment des délégués du Comité, (J. M. Howell, W. E. Godfrey, J. H. Devine et H. A. Winter, K.C.), la fanfare des Gardes a interprété plusieurs pièces. À 15 h 30, la délégation a été admise et a présenté sa pétition. Alors qu'elle faisait sa déposition devant la Chambre, un brouhaha a éclaté devant les portes et les gens ont exigé de voir l'abbé Godfrey. Impatiente d'entendre la décision de la Chambre, la foule s'est mise à forcer les portes.

Mis au fait du désordre croissant à l'extérieur, le Comité est sorti et a tenté de convaincre les gens de retourner au Majestic. Tandis qu'on s'efforçait de prendre les devants avec le drapeau, certains manifestants ont voulu empêcher qu'on s'en empare, et une bagarre a éclaté. Quelqu'un a entamé l'Hymne national, des officiers à la retraite du Régiment se sont ralliés et il y a eu un court répit, mais la lutte pour le drapeau a repris et il a été arraché à son mât et emporté dans l'édifice. Une large part des manifestants, menés par la fanfare des Gardes et les membres du Comité, étaient déjà revenus au Majestic pour être informés du résultat de la visite à la Chambre. En quittant les lieux, ils ont été stupéfaits d'apprendre que de graves troubles avaient éclaté à l'Édifice Colonial.

Les portes avaient fini par céder et, quand les hommes ont commencé à se ruer à l'intérieur, les policiers, qui étaient une vingtaine ou davantage, se sont mis à frapper de leurs bâtons toutes les têtes qui apparaissaient. Puis, après en avoir reçu l'ordre, ils ont chargé vers le bas de l'escalier en repoussant devant eux tout ce qui bougeait, dont bon nombre de spectateurs innocents. Cette violence a paru enflammer la foule. Dans le tumulte, les jeunes se sont mis à lancer des pierres et d'autres projectiles, faisant voler les fenêtres en éclats. Dans leurs efforts pour rétablir l'ordre, les policiers à cheval n'ont fait qu'aggraver les choses. Le constable Lake a été jeté au bas de sa monture et, une fois au sol, battu à coups de piquets et de pierres. Quelques spectateurs se sont interposés pour le relever et le placer dans une voiture qui l'a conduit à l'hôpital général. Le constable Layman et un civil nommé Healey se sont aussi retrouvés à l'hôpital. Tôt ce matin, les médecins ont déclaré que les constables Lake et Layman avaient subi des contusions à la tête, et que M. Healey souffrait d'une entorse. Aucune de ces personnes n'a été grièvement blessée.

Quand la police a chargé la foule à l'extérieur du Parlement, le représentant du Daily News était au rez-de-chaussée de l'édifice, mais il a pu réunir les témoignages suivants. Obéissant de toute évidence à leurs ordres, les policiers ont jeté bas leurs capotes et levé leurs bâtons pour attaquer la foule sans discrimination, blessant de nombreuses personnes. Suite à cet assaut, la pharmacie O'Mara a traité à elle seule 15 blessés, y compris un enfant de 10 ans frappé à la tête et coupé à l'oreille.

Au même moment, les jeunes dans la foule ont pris les choses en main, s'étant dit que c'était sans doute leur rôle : avec des pierres et des piquets de la clôture du parc, ils ont fait voler en éclats toutes les fenêtres de l'édifice, de même que les portes et les châssis. Le vandalisme ne faisait que commencer. L'appartement de Mlle Morris, directrice de la Bibliothèque législative, a été saccagé. Son piano a été traîné jusque dans le parc, où il a été mis en pièces. Ses notes privées et ses livres ont été détruits, et ses meubles complètement démolis. À deux reprises, on a tenté d'incendier l'édifice, mais les flammes ont été maîtrisées avant de causer de dommages. Au petit matin, l'Édifice Colonial était en ruine.

Longtemps après l'ajournement de l'Assemblée par l'Orateur, les députés ont quitté les lieux un par un et n'ont pas été molestés. La foule des assiégeants attendait la sortie du Premier Ministre et de l'Inspecteur Général. Vers 17 h, M. Cashin et Sir William Coaker sont sortis du sous-sol de l'édifice et se sont rendus à la résidence du Gouverneur, à qui ce dernier a présenté sa démission. À son retour, M Cashin en a fait l'annonce du haut des marches de l'Édifice Colonial, ajoutant que le Premier Ministre démissionnerait lui aussi. Il a aussi déclaré que l'Assemblée se réunirait le lendemain à 15 h, priant les manifestants de rentrer chez eux et de revenir à ce moment. Mais ceux-ci ne voulaient pas attendre, exigeant la démission immédiate du Premier Ministre. Durant ce temps, les constables, arrosés de pierres et de bâtons chaque fois qu'ils se montraient, étaient incapables de sortir de l'immeuble.

Vers 19 h 30, le Premier Ministre est enfin sorti, accompagné par M. L. E. Emerson et M. Myles Murray, et entouré de 10 à 12 hommes. Au moment où le Premier Ministre atteignait la voiture qui l'attendait, la foule l'a reconnu et s'est ruée vers lui. Ceux qui l'accompagnaient l'ont entraîné sur la rue Colonial et l'ont poussé dans une résidence. Le frère Pippy est resté sur les marches de la maison, en compagnie de l'abbé W. E. Godfrey, du frère Gibbs et de l'abbé C. H. Johnson. Quand les gens ont fini par fouiller la maison, le Premier Ministre s'était échappé par la porte arrière. Avant sa fuite, Monseigneur MacDermott et tous les prêtres de l'Évêché, H. L. Pike, le docteur Wylie Clark et d'autres membres du clergé se tenaient autour de la maison, exhortant les gens à rentrer chez eux.

Vers 20 h 30, l'Inspecteur Général a réussi à s'échapper par l'arrière de l'Édifice et, lorsque la patrouille des Anciens combattants a pris son quart à l'Édifice Colonial un peu après 23 h, les membres du corps de police ont pu quitter les lieux.

À la demande de l'Inspecteur Général, alors captif dans la Chambre d'Assemblée, le Lt. Col. Paterson, président de l'Association des Anciens combattants de la Grande Guerre, a lancé sur les ondes de la station VONA un appel à tous les militaires à la retraite pour qu'ils viennent patrouiller la ville durant la nuit.

Cinq patrouilles d'une vingtaine d'hommes ont été déployées sur les rues avant 23 h pour garder les banques, les débits d'alcool de l'Ouest, du Centre et de l'Est, la Chambre d'assemblée, le quartier commercial et la Résidence du Gouverneur.

Entre 18 et 19 heures, autour de huit hommes munis d'une pince-monseigneur avaient brisé le cadenas de la grille du débit d'alcool de l'Est. Ils y sont retournés peu après pour défoncer les portes et dérober une quarantaine de bouteilles de diverses boissons. Avant 23 h, le débit d'alcool de l'Ouest a été pillé à deux reprises d'une large part de ses marchandises. Vers 1 h 30, une partie de la foule qui se trouvait dans le quartier Ouest s'en est prise au débit d'alcool du Centre.

Tôt ce matin, quelques commerces de la rue New Gower ont vu leurs vitrines brisées et ont été cambriolés. On a aussi tenté d'entrer par effraction dans les locaux des Agences maritimes, mais les policiers sont intervenus. Un ordre général a été lancé tard hier soir pour appeler au travail tous les membres de la force policière. Ce matin, l'Association des Anciens combattants de la Grande Guerre a aussi sollicité l'aide de 250 volontaires, vétérans et civils, pour patrouiller dans la ville.




Extrait de l' Evening Telegram, 6 avril 1932



Le Premier Ministre, ses Collègues et l'Inspecteur Général prisonniers de l'Édifice Colonial, gravement endommagé par des manifestants furieux

Le sous-sol est saccagé, mais la police interdit l'accès à la Chambre d'assemblée — Après avoir sorti leurs bâtons, des policiers sont blessés

L'Édifice Colonial a été la scène d'actes de vengeance collective inoubliables hier après-midi, vers 16 h. Toutes les vitres de l'immeuble ont volé en éclats, les portes et les châssis ont été réduits en miettes, les meubles, l'équipement de bureau et des vêtements ont été volés et détruits, tandis que des documents et des dossiers ont été éparpillés dans le parc Bannerman. Les policiers, avec l'Inspecteur Général, le Premier Ministre Sir Richard Squires et les membres de son Cabinet sont restés littéralement prisonniers de l'édifice jusqu'à ce que l'intervention de membres du clergé des diverses confessions ramène un calme relatif.

De huit à dix mille citoyens ont été témoins de cette manifestation, et les lieux sont restés grouillants de monde jusque tard dans la nuit.

Ce jour-là, l'Assemblée s'était réunie à 15 h 15 et les quelques spectateurs habituels faisaient la queue pour être admis. Lorsque la foule de manifestants est arrivée par la rue Military, elle avait été devancée par un grand nombre de femmes et d'enfants qui s'étaient rassemblés dans la cour. Une escouade d'une trentaine de policiers, dont quatre à cheval, étaient postés au pied de l'escalier devant l'édifice.

Quand les gens sont arrivés à la grille, les policiers montés se sont servis de leurs chevaux pour forcer la foule à ouvrir un large passage. Une fois le défile au pied de l'escalier de l'Édifice Colonial, le drapeau de l'Union royale a été installé sur les marches du bas, soulevant les acclamations de la foule. M. H. A. Winter, K.C., l'abbé W. E. Godfrey, le président Howell et d'autres représentants des citoyens ont alors gravi l'escalier aux vivats de la foule.

Une attente d'environ 30 minutes a suivi. Le défilé au complet s'était rassemblé sur le terrain, accompagné de milliers d'autres spectateurs, et une mer de visages s'étendait de tous côtés devant le Parlement. La fanfare des Gardes, qui avait marché en tête du défilé, a interprété l'Ode à Terre-Neuve, l'ensemble des hommes et des jeunes de cette immense foule se tenant à l'attention, la tête dénudée, jusqu'à la fin de la pièce. La scène était des plus impressionnantes.

La délégation a alors pénétré dans le Parlement pour présenter la pétition.

Durant le délai précédant l'entrée de la délégation et celui occasionné par les échanges dans l'Assemblée, une partie de la foule a commencé à s'agiter. Les clameurs ont amené les gens à l'arrière à pousser vers l'avant; avec l'intention apparente de retenir la foule, les policiers à cheval se sont postés devant l'escalier. Fâchés par cette tentative de les refouler, quelques spectateurs s'en sont pris aux cavaliers, arrachant la cape de l'un d'eux.

Les policiers se sont alors déplacés sur le côté mais la foule, excitée et furieuse, s'était mise en tête de pénétrer dans le Parlement. Dans l'espoir apparent d'inciter les gens à reculer, on a suggéré de retirer le drapeau et son escorte. Cette intention a été manifestement mal interprétée et les insurgés ont insisté pour que le drapeau reste en place. Un combat a alors éclaté, sans que personne ne sache trop pourquoi, tous les protagonistes voulant protéger le drapeau.

Soudain, quelqu'un a entonné l'Hymne national. La foule s'est jointe au chœur des voix, tout le monde s'est décoiffé et le drapeau a été replacé sur l'escalier.

La délégation étant ressortie du Parlement, M. Winter a demandé à la foule de rentrer au Majestic, et on s'est efforcé de reconstituer le défilé. Un grand nombre de participants ont alors suivi la fanfare jusqu'au Majestic, où les délégués ont rendu compte du résultat de leur démarche devant l'Assemblée.

Entre-temps, ceux qui étaient sur l'escalier ont poursuivi leurs efforts pour pénétrer dans le Parlement, se ruant sur les portes principales qui avaient été verrouillées. De l'intérieur, quelque 25 constables étaient arc-boutés de tout leur poids contre le portail pour empêcher la foule d'entrer.

Une barre de fer longue de cinq pieds, trouvée quelque part sur le terrain, a été apportée en haut de l'escalier pour servir de bélier. Un des battants de la porte n'a pas tardé à voler en éclats. De l'intérieur, les policiers ont passé leurs bâtons par l'ouverture pour frapper les assaillants à leur portée.

La foule était déterminée à envahir le Parlement, et la pression était telle que certains sont grimpés sur les épaules de leurs comparses pour atteindre la porte. Pendant ce temps, les policiers à cheval tentaient de disperser la foule dans la cour.

De l'intérieur, les policiers ont réussi à se saisir de la barre de fer. Le Surintendant O'Neil est alors sorti pour tenter de calmer la foule.

Un des manifestants, Michael Whelan, a été admis dans l'édifice. Il s'est tout de suite déclaré partisan de la loi et de l'ordre, à enlevé son manteau et s'est porté volontaire pour aider les policiers. Le tumulte a paru se calmer quelques minutes jusqu'à ce que quelqu'un s'empare de l'Union Jack apporté par le défilé et commence à frapper la porte avec la hampe. Avec leurs bâtons, les policiers sont parvenus à repousser quiconque s'approchait de la brèche dans la porte et sont parvenus à s'emparer de la hampe. Les manifestants s'en sont alors pris aux clôtures dont ils ont arraché les lattes, ont ramassé des pierres et se sont rués dans la cour à l'est de l'édifice, projetant une pluie de projectiles vers les fenêtres.

Les 20 à 25 policiers en poste de ce côté du bâtiment ont empêché la foule d'y pénétrer. Des jeunes de dix ans et plus sont apparus sur la scène et se sont joints aux tirs de pierres, certains se servant de frondes.

Pendant ce temps, comme la foule devant l'édifice continuait de se presser contre les portes, les policiers ont jeté bas leurs capotes et se sont préparés à contre-attaquer. Les verrous ont été retirés et les vingt-cinq constables se sont précipités sur la foule en frappant tout ce qui bougeait de leurs bâtons. Des douzaines de manifestants, jeunes et vieux, sont tombés sous la pluie de coups. En moins d'une minute, les marches ont été dégagées de tous ceux qui n'étaient pas tombés. Certains des blessés ont été entraînés à l'intérieur, et d'autres ont été emmenés par leurs camarades pour recevoir des soins.

Comme une flamme, la soif de vengeance s'est emparée de la foule et les policiers ont dû courir s'abriter dans l'édifice. Des pierres, des bâtons et des projectiles de toutes sortes ont été lancés à travers toutes les fenêtres. Il n'y avait pas de chefs, mais la foule a paru se diviser en sections de manière à empêcher la sortie des policiers et des membres de l'Exécutif du Gouvernement.

Vers 16 h 20, une foule de jeunes a contourné l'édifice sur la gauche pour démolir la porte du sous-sol. Des projectiles ont été lancés à travers les fenêtres de la Chambre d'Assemblée, mais tous les députés s'étaient déjà mis en sécurité dans une autre pièce. Le bombardement de l'édifice continuait sans interruption. Les policiers à cheval ont alors chargé les quelques milliers de spectateurs innocents qui s'étaient rassemblés dans la cour. Si certains d'entre eux ont subi des blessures légères en tentant d'échapper aux sabots des bêtes, la plupart ont réussi à fuir indemnes par le parc Bannerman. La palissade entre le parc Bannerman et les terrains de l'Édifice Colonial a été abattue par les gens qui cherchaient à se mettre en sécurité.

Au plus fort de la confusion, les policiers à cheval ont contourné l'édifice au galop, dans un effort désespéré pour disperser la foule et éviter d'autres sévices au Parlement. Durant cette manœuvre, de grosses pierres et des bâtons leur ont été lancés de tous côtés, et tous les officiers ont été soit atteints par des projectiles, soit jetés à bas de leur cheval. Le constable Lake, atteint à la tête par une pierre, a perdu le contrôle de sa monture et un des manifestants l'a fait tomber de sa selle; il est tombé au sol lourdement et a été piétiné. Des témoins sont alors intervenus et ont réussi à le porter sans encombre jusqu'à la rue Military, où il a été placé dans une automobile et conduit à l'Hôpital général. Son cheval a ensuite été capturé dans la cour par un citoyen, qui l'a enfourché pour le conduire à la Caserne de pompiers centrale. Pendant ce temps, le constable Layman, un des policiers à cheval, a été assommé par une pierre et a aussi été rapidement conduit à l'hôpital. Dès ce moment, les cavaliers ont complètement perdu le contrôle. Deux de ceux qui avaient été désarçonnés ont réussi à remonter en selle, mais leur chute les avait fortement contusionnés; convaincus par les citoyens rassemblés sur la rue Military, ils ont battu en retraite et sont rentrés au Fort Townsend.

La déroute des policiers a été suivie d'un désordre indescriptible. Une meute de garçons continuaient à lapider l'édifice de l'extérieur, et ses occupants n'osaient pas se montrer. Éventuellement, les assaillants sont parvenus a envahir le rez-de-chaussée, et tout ce qui pouvait être déplacé a été démoli ou enlevé. Un piano et des documents personnels de Mlle Morris ont été sortis de l'édifice jusque dans le parc Bannerman et détruits. Un peu plus tard, on a vu deux jeunes sortir du Parlement avec quatre bouteilles de whisky White Horse, qu'ils ont bues à proximité.

En outre, la résidence privée de Mme Ryall, située au coin sud-est de l'édifice, a été ravagée. Une grande quantité de vêtements, de tableaux et de matelas, ainsi que plusieurs coffres, ont été jetés par la fenêtre. Un jeune garçon s'était emparé de la Masse et allait s'échapper quand un spectateur l'a intercepté et contraint à la replacer, mais un autre a réussi à se sauver avec l'épée du Sergent-d'Armes et s'est rendu devant l'Édifice en la brandissant. Peu avant 17 h, plusieurs des députés sont sortis et ont quitté la cour sans être molestés.

Un certain nombre d'ex-militaires ont alors tenté de mettre fin au chaos.

Des représentants des clergés anglican, catholique et uni ont été invités à intervenir pour rétablir l'ordre.

M. Cashin, M. Charles Garland et le Surintendant O'Neil ont essayé de proposer une trève. M. Cashin a rencontré l'Inspecteur Général et lui a dit qu'il tenterait de faire reculer la foule si les policiers rendaient leurs bâtons.

Le Dr Wylie Clark a fait un appel passionné pour un retour à la paix, demandant aux insurgés de se disperser et les informant que le Gouvernement avait démissionné. La foule a hurlé que personne ne partirait sans avoir obtenu satisfaction. Et si les policiers rangeaient leurs bâtons, a-t-il alors demandé? Une fois encore, la foule a refusé.

M. Garland a alors fait savoir que l'Inspecteur Général l'avait assuré que les bâtons ne seraient plus jamais utilisés, ce à quoi la foule a rétorqué qu'elle voulait se venger et exigé que l'Inspecteur Général démissionne sur le champ.

L'abbé Godfrey, l'abbé C. H. Johnson, Monseigneur McDermott et l'abbé Kennedy se sont alors adressés aux manifestants. Sir William Coaker et M. Peter Cashin en ont profité pour sortir de l'édifice. Les membres du clergé ont poursuivi leurs efforts, mais sans grand succès.

Le Premier Ministre, l'Hon. Bradley et l'Inspecteur Général étaient encore à l'intérieur et la foule était déterminée a ne pas les laisser sortir sans encombre. À ce moment, l'abbé Godfrey a annoncé qu'il conduirait quarante citoyens respectueux de la loi dans l'enceinte pour une mission spéciale qu'il gardait secrète. La foule a accepté et quarante ou cinquante volontaires se sont alors joints à lui.

M. Emerson, qui s'employait à organiser la fuite de quelques dames et du Premier Ministre, a réussi à escorter deux dames jusqu'en bas de l'escalier, puis jusqu'à une voiture stationnée près de la barrière est de la rue Bannerman. M. Emerson est ensuite rentré dans le Parlement, accompagné par l'abbé Godfrey et ses volontaires, et a aidé Sir Richard à passer la porte avant et à descendre l'escalier. Juste au moment où ils prenaient la gauche en direction de la rue Bannerman, où un véhicule les attendait, la foule a crié « Le voilà! » et s'est immédiatement ruée vers eux, interceptant le Premier Ministre et son escorte. Malgré les plaidoyers de M. Emerson, la situation a continué de s'envenimer, tandis que la nuit tombait et que régnait un désordre total. Le Surintendant O'Neil de la force constabulaire a discuté avec la multitude et a été largement plus efficace.

On s'est alors efforcé de faire sortir le Premier Ministre sur la rue Military par la barrière avant, mais le progrès était lent : on eût dit que chacune des milliers de personnes rassemblées sur le terrain désirait voir M. Squires, et que certains d'entre eux (moins nombreux) voulaient lui faire violence.

Une bonne heure après que le Premier Ministre soit sorti du Parlement en compagnie de M. Emerson, de l'abbé Pippy et de l'abbé C. H. Johnson (qui ne cessaient d'implorer les gens de ne pas s'approcher de Sir Richard), ils ont atteint la résidence de Mme Connolly, au 66 de la rue Colonial, et sont parvenus à y faire entrer le Premier Ministre.

La foule s'est alors massée à l'extérieur, attendant qu'il ressorte. Entre-temps, un prêtre avait pensé à faire le tour du quartier jusqu'à une maison sur la rue Bannerman; avec un peu d'aide, il a fait sortir le Premier Ministre par l'arrière de la maison de Mme Connolly, l'aidant à enjamber les clôtures jusqu'à la rue Bannerman, et l'a fait monter dans un taxi. Les manifestants qui attendaient de le voir réapparaître sur la rue Colonial ne pouvaient pas croire qu'ils avaient été floués : pour satisfaire la foule furieuse, une douzaine de manifestants ont été autorisées à entrer dans la résidence Connolly; après l'avoir fouillée de la cave au grenier, ils ont fini par se convaincre que l'homme s'était bien échappé. Sir Richard s'est tiré indemne de cette aventure, malgré la bousculade créée par la multitude.

La foule s'est attardée plus d'une heure sur la rue Colonial, malgré les intercessions de M. Emerson, du père Pippy et des abbés Godfrey et Johnson. Une légère averse a fini par en décourager plusieurs, mais le tumulte autour et à l'intérieur de la Chambre d'Assemblée a continué de faire rage, la foule ne se dispersant que tard après minuit.

L'Inspecteur Général Hutchings et l'Hon. Bradley sont sortis de l'édifice inaperçus.

Tard durant les désordres au Parlement, les locaux du débit d'alcool de l'Est ont été attaqués, et une grande quantité d'alcool a été volé et distribué avant l'intervention des forces de l'ordre. Plus tard, vers 22 h 30, le débit d'alcool de l'Ouest a aussi été quasiment vidé de toute sa marchandise.

Les policiers sont restés à l'intérieur du Parlement jusqu'à 23 h. La première escouade était partie peu après 22 h, pour se rendre au Fort Townsend en compagnie du Surintendant O'Neil. Le reste des policiers sont partis du Parlement sans coup férir peu avant 23 h 30, heure vers laquelle le Surintendant O'Neil a allumé l'éclairage électrique dans l'édifice.

Une escouade d'une vingtaine d'anciens militaires, organisée peu après 17 h sous la direction du Lieut. Col. Paterson et du Commandant Howley, R.N., a défilé jusqu'au Parlement peu après 22 h 30 et a pris position pour garder la propriété durant la nuit. Ils sont aussi restés de garde toute la nuit aux débits d'alcool et dans divers quartiers de la ville, rendant des services inestimables. Plusieurs badauds présents autour du Parlement ont tenté de s'organiser pour y maintenir l'ordre. À deux reprises durant l'après-midi, des jeunes ont tenté de mettre le feu à l'ouest du sous-sol, mais en ont été empêchés.

Avant que l'Orateur ne quitte le trône et n'ajourne le Parlement, les premières pierres avaient été lancées à travers les fenêtres du rez-de-chaussée, et les portes de la résidence Ryall, de la salle des reporters, des bureaux de l'Opposition et des pièces occupées par Mlle Morris ont été prises d'assaut. En moins d'une heure, chaque fenêtre avait été brisée, les poêles de la salle des reporters et de la chambre de Mlle Morris avaient été renversés et les policiers et les témoins se sont empressés de noyer les flammes. Les châssis ont été fracassés à coups de piquets et de gourdins, les locaux ont été saccagés et les intrus ont cherché à pénétrer dans les salles de l'Assemblée à l'étage. Les solides volets de la chambre de Mlle Ryall ont protégé l'essentiel de son ameublement, mais tous les articles des locaux de Lady Squires, de Mlle Morris, des reporters et du Sergent-d'Armes ont été détruits. Les machines à écrire, les étagères, les livres et les documents, ainsi que les chaises et les tables, ont été jetés par les fenêtres, tant et si bien qu'on aurait crû, le matin suivant, qu'une gigantesque explosion avait éclaté dans les bâtiments de l'Assemblée. Toutes les vitres des quatre côtés de l'édifice ont été brisées, ainsi que toutes celles des portes et des couloirs. De gros poêles ont été projetés dans la salle de l'Assemblée et dans celle du Conseil Législatif. Il est remarquable que les chandeliers massifs qui éclairent ces salles n'aient pas été atteints par les projectiles lancés par les fenêtres. De nombreux pupitres ont été démolis et les meubles ont subi des dommages considérables. Ceci dit, la police est parvenue à tenir la foule hors de la Chambre d'Assemblée et de celle du dessus.

On estime que les dommages atteignent environ 10 000 $. Mlle Morris a perdu tous son ameublement, et ses possessions privées ont été soit détruites, soit volées. La famille Ryall a aussi subi des pertes sévères.

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