Newfoundland and Labrador In The First World War

La politique en temps de guerre

Quand Terre-Neuve est entrée en guerre, sir Edward Morris en était le premier ministre. Son People's Party avait été réélu à la Chambre d'assemblée en 1913, mais sa majorité était passée de dix à cinq siè ges, et le parti n'avait récolté que quarante et un pour cent des voix. La position politique de Morris était donc faible.

Sir Edward Morris, s.d.
Sir Edward Morris, s.d.
Né à St. John's, il a été élu pour la premiè re fois à la Chambre d'assemblée en 1885. Il a été premier ministre de 1909 à 1917.

Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (VA-33-59), St. John's (T. N. L.)

En plus de se heurter à une opposition de taille composée du Parti libéral et du Union Party, Morris a dû gouverner une société profondément divisée selon l'appartenance religieuse (anglicanisme, catholicisme romain et méthodisme), la classe sociale (commerçants / pêcheurs) et la région habitée (St. John's / petits villages côtiers isolés). Le plus grand nombre de partisans du People's Party venaient du sud de Terre-Neuve et de la presqu'île Avalon. Le parti était appuyé par les électeurs catholiques et les puissants commerçants de la rue Water.

Cependant, pour bien gérer l'effort de guerre, il a fallu que Morris obtienne le soutien des deux partis d'opposition et des trois chefs religieux, ce qui s'est avéré une tâche difficile compte tenu du climat politique et social de l'époque.

Newfoundland Patriotic Association

La décision de Morris quant à la forme que prendrait la participation éventuelle de Terre Neuve à la guerre a été grandement influencée par le gouverneur, sir Walter Davidson. Avant de s'établir à Terre Neuve en 1913, Davidson avait servi les colonies de la Couronne du Ceylan, du Transvaal et des Seychelles. Il connaissait peu le systè me de gouvernement responsable en vigueur à Terre Neuve et la politique partisane lui déplaisait grandement.. Il estimait que le gouverneur devait participer directement à la gestion de l'État et il souhaitait jouer un rôle actif plutôt que symbolique dans l'administration de l'effort de guerre.

Sir Walter Edward Davidson (1859-1923), s.d.
Sir Walter Edward Davidson (1859-1923), s.d.
Davidson a été le gouverneur de Terre Neuve de 1913 à 1917.

Photo tirée de l'Encyclopedia of Newfoundland and Labrador, I (1981), p. 595. Source originale inconnue.

Comme Davidson voulait contribuer à l'effort de guerre et comme l'emprise de Morris sur le pouvoir ne tenait qu'à un fil, les deux hommes ont remis en question l'avantage de créer un ministè re de la défense dirigé par l'État. Si le gouvernement administrait l'effort de guerre, il y aurait des débats supplémentaires dans la Chambre d'assemblée, et Morris serait peut être appelé à gérer une controverse publique accrue. Davidson, quant à lui, aurait trè s peu d'influence sur les décisions cruciales.

Les deux hommes ont préféré former une association extraparlementaire non confessionnelle. La Newfoundland Patriotic Association (NPA) a vu le jour le 17 août 1914. Davidson en était le chef. Parmi les membres de la NPA figuraient d'importants politiciens libéraux, des commerçants prospè res, des éditeurs de journaux, des conseillers municipaux, des juges de la cour suprême et les principaux chefs religieux, notamment l'archevêque catholique M. F. Howley et l'évêque anglican Llewellyn Jones.

Fait notable, William Coaker, chef de la Fishermen's Protective Union (FPU) et de son aile politique, le Union Party Union Party, n'était pas de la partie. Huit des neuf candidats du Union Party Union Partys'étaient fait élire lors de l'élection générale de 1913, dont Coaker dans la baie de Bonavista. Le parti représentait les intérêts de la classe ouvriè re, et c'est dans les districts protestants isolés longeant la côte nord est de Terre-Neuve qu'il a été le mieux accueilli. Il existait beaucoup de tension entre le Union Party Union Party et le People's Party.

Sir William Coaker
Sir William Coaker

Photo tirée de Richard Hibbs, éd., Who's Who in and From Newfoundland 1930, 2e édition (St. John's, Terre-Neuve : R. Hibbs, 1930) 65.

Coaker figurait parmi les 55 premiers membres de la NPA nommés par Davidson et Morris le 13 août 1914, mais le chef de la FPU ne semble avoir assisté qu'à une seule réunion, celle de décembre 1914. En effet, Coaker était devenu l'une des premiè res et seules voix dissidentes de la NPA. Il appuyait certes l'effort de guerre de Terre Neuve de façon générale, mais il prétextait que le gouvernement manquait à ses obligations en permettant à une association privée de superviser des affaires militaires. De plus, à son avis, le dominion devait centrer sa campagne de recrutement sur la Newfoundland Royal Naval Reserve plutôt que de créer un régiment qui entraînerait des coûts beaucoup plus élevés.

Il n'en reste pas moins que la NPA avait le soutien du Parti libéral et duPeople's Party People's Party, de même que celui des principales confessions, de l'élite marchande et du public de St. John's en général. La NPA a assumé la responsabilité de l'administration de l'effort de guerre du dominion en août 1914, responsabilité qu'elle a maintenue pendant les trois années suivantes.

La NPA a formé divers comités et sous comités pour administrer les différentes facettes de l'effort de guerre, comme le recrutement, l'entraînement, la sélection des officiers et les finances. Toute décision importante des comités devait être ratifiée lors des assemblées générales de la NPA, puis confirmée par Morris, au nom du gouvernement, et par le chef du Parti libéral, au nom de l'opposition combinée (qui comprenait le Union Party).

La premiè re année et demie s'est déroulée relativement tranquillement. La campagne de recrutement portait ses fruits, et la NPA a réussi à rallier les différents partis politiques et groupes religieux à une cause commune. Mais, puisque la guerre a duré beaucoup plus longtemps que prévu, l'administration du rôle du dominion s'est avérée plus complexe que prévu.

Des obligations difficiles à respecter

En 1916, la NPA avait beaucoup de mal à respecter ses obligations, et les critiques de la presse, des soldats revenant de la guerre et du public en général se multipliaient. Le régiment a essuyé d'énormes pertes en juillet et en octobre 1916. La NPA n'arrivait pas à trouver suffisamment de volontaires pour remplacer les soldats tués ou blessés. En janvier 1917, on discutait ouvertement de conscription.

Une des failles dans la stratégie de recrutement de la NPA était le traitement des régions isolées. En février 1916, selon les informations disponibles, les taux d'enrôlement variaient de 1 personne sur 36 à St. John's à aussi peu que 1 personne sur 329 dans le district de Bay de Verde. Plusieurs de journaux de la ville et de membres de la NPA ont accusé à tort les petits villages isolés d'apathie, puisqu'ils ignoraient les obstacles économiques et géographiques de taille qui empêchaient les habitants ruraux de s'enrôler dans l'armée.

Les familles rurales vivaient de la pêche de la morue, une activité saisonniè re, et la plupart d'elles ne pouvaient pas se permettre d'envoyer leurs hommes à la guerre. La NPA a négligé d'adopter des mesures d'aide économique qui permettraient aux hommes des régions ruralesde quitter le foyer sans plonger leur famille dans la pauvreté. De plus, l'association avait beaucoup moins de visibilité dans les régions rurales qu'à St. John's, ce qui a miné davantage sa campagne de recrutement.

Terrain d'entraînement à Pleasantville, St. John's, vers 1914
Terrain d'entraînement à Pleasantville, St. John's, vers 1914

Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (VA 37-15.1), St. John's (T. N. L.)

Le mécontentement entourant la sélection des officiers du régiment, une responsabilité qui relevait du puissant Comité permanent de la NPA, posait également problè me. Beaucoup de personnes estimaient que la NPA n'accordait pas les brevets de façon équitable, qu'elle préférait les hommes de St. John's à ceux des régions, les protestants aux catholiques et les fils des plus riches à ceux de la classe ouvriè re. Pire encore, de nouvelles recrues inexpérimentées issues de familles importantes étaient nommées officiers aux dépens des soldats aguerris. Le journaliste P. T. McGrath, lui même membre bien en vue de la NPA et partisan de Morris, comptait parmi les mécontents, et il a exposé ses griefs à l'assemblée législative en juillet 1917.

Des marchands profiteurs

Les gens d'affaires de St. John's n'ont pas tenu leurs obligations morales à l'égard du commerce, ce qui a provoqué une autre source de controverse. En effet, l'économie de Terre Neuve dépendait du transport des marchandises, mais, en 1915, les marchands de St. John's ont commencé à vendre leurs navires d'acier et à réaliser d'énormes profits. Il s'est ensuivi des pénuries de charbon, de farine, de sel et d'autres approvisionnements.

Plus les prix à la consommation montaient, plus les gens croyaient que les marchands de la rue Water usaient de leur emprise sur l'importation, la vente en gros et la vente au détail pour maximiser leur marge de profit. Coaker était de ceux qui critiquaient haut et fort les marchands, qu'il qualifiait de profiteurs. « Si les membres du public savaient ce qui se passait la moitié du temps dans les cercles officiels ces derniers mois, ils seraient épouvantés » , a t il écrit dans le Mail and Advocate le 1er mars 1916. « On leur a demandé de manifester leur patriotisme en participant aux collectes. On leur a demandé de faire de nombreux sacrifices, ce qu'ils ont fait comme tout bon Britannique. Et qu'ont ils eu en échange? Ils sont maintenant à la merci d'un groupe d'escrocs commerciaux. »

La presse non plus n'a pas ménagé ses critiques. En février 1916, le Evening Telegram a publié une série d'éditoriaux incitant le gouvernement à intervenir. Le journal suggérait au dominion de fixer les tarifs marchandises et d'imposer les bénéfices exceptionnels découlant tant des ventes antérieures que des ventes futures. L'impôt perçu serait versé à l'effort de guerre. Le Daily News a critiqué les marchands dans un éditorial publié le 16 mars 1916 en alléguant qu'ils pratiquaient un « patriotisme payant » .

En mai 1917, Morris a créé une commission d'enquête sur le coût élevé de la vie et l'a chargée d'étudier les allégations de recherche du profit lancées contre les marchands. La commission a publié six rapports, qui ont confirmé les soupçons selon lesquels les marchands augmentaient arbitrairement les prix. Par exemple, dans son rapport sur la farine, diffusé en juin 1917, elle a conclu que les marchands accaparaient les stocks de farine et demandaient des prix exorbitants. Les marchands réalisaient des profits de 1,50 $ à 4 $ le tonneau, plutôt que le profit normal de cinquante cents le tonneau. Ils avaient cumulé des bénéfices exceptionnels d'au moins 600 000 $, et les commissionnaires n'ont trouvé aucune raison justifiant des augmentations de tarifs aussi importantes.

Les rapports de la commission n'ont fait qu'allonger la liste de controverses avec lesquelles le gouvernement était aux prises. En raison des constatations de la commission, on a réclamé que les riches paient leur dû. En raison de l'échec du recrutement, on a réclamé la conscription. Face au mécontentement croissant à l'égard de la NPA en général, le gouvernement se voyait contraint de jouer un rôle plus important dans l'administration de l'effort de guerre.

La confiance du public dans le People's Party était également à la baisse. À cause de son approche passive relativement à l'effort de guerre, le parti semblait faible et inefficace, alors que ses liens étroits avec la classe marchande le faisaient paraître malhonnête. Une élection s'en venait à l'automne 1917, et le parti semblait voué à la défaite.

Le gouvernement national

Morris a décidé de former un gouvernement national de coalition en juillet 1917, et Davidson a convenu de prolonger la session législative. Il n'était donc pas nécessaire de procéder à une élection à l'automne. Le nouvel exécutif était représenté par six membres du People's Party et six membres de l'opposition combinée (quatre Libéraux et deux membres du Union Party). Cette manœuvre a permis de restaurer en quelque sorte l'harmonie politique qui régnait pendant les premiè res années de la guerre en rassemblant les trois partis au sein d'un gouvernement de coalition. Morris s'est retiré du monde de la politique à la fin de l'année, et le chef du Parti libéral, William Lloyd, l'a remplacé en tant que premier ministre.

Sir William F. Lloyd
Sir William F. Lloyd

Photo tirée de Richard Hibbs, éd., Who's Who in and from Newfoundland 1930, 2e édition (St. John's, Terre-Neuve : R. Hibbs, 1930) 55.

Le nouveau gouvernement s'est mis rapidement à l'œuvre pour régler les problè mes qui affligeaient le milieu politique de Terre Neuve depuis 1916. En réaction aux appels à la conscription, il a instauré l'impôt sur les profits d'entreprise en 1917 et l'impôt sur le revenu en 1918. En outre, il a créé le ministè re de la marine marchande, qui a été dissous aprè s la guerre, ainsi qu'un office du contrôle des produits alimentaires.

Pour régler les problèmes liés à la NPA, le gouvernement a créé un ministè re de la milice pour s'occuper de l'effort de guerre. En outre, il a adopté la Military Service Act (loi sur le service militaire) le 11 mai 1918, qui a imposé la conscription (bien que la guerre se soit terminée avant que les premiers conscrits n'aient été appelés au service actif).

Le débat entourant la conscription, cependant, a semé la division et miné l'unité du gouvernement national. Coaker et son Union Party ont été particuliè rement touchés. Coaker, membre clé du gouvernement national, a accepté contre son gré d'unir sa voix à celle des partis qui appuyaient la conscription. Sa décision a créé un fossé entre lui et ses partisans situés dans les petits villages isolés, qui s'opposaient fermement à la conscription.

D'autres problè mes sont venus affaiblir le gouvernement de coalition. Aprè s le départ de Morris, en décembre 1917, plusieurs membres du People's Party, notamment Richard Squires, se sont dissociés abruptement du gouvernement pour former un noyau d'opposition. La Chambre d'assemblée n'était pas la seule source de dissidence. En effet, le nouvel archevêque catholique, Edward Patrick Roche, était vivement opposé à Coaker et à son Union Party, ce qui a mis à rude épreuve l'unité du gouvernement.

Sir Richard Squires
Sir Richard Squires

Photo tirée de Richard Hibbs, éd., Who's Who in and from Newfoundland 1930, 2e édition (St. John's, Terre-Neuve : R. Hibbs, 1930) 53.

Lorsque la guerre a pris fin le 11 novembre 1918, le pouvoir du gouvernement national ne tenait qu'à un fil. Le gouvernement est enfin tombé six mois plus tard, lorsque le ministre des finances, Michael Cashin, a réussi à faire adopter sa motion de censure. Le gouverneur a alors invité Cashin à former une administration intérimaire, qui est demeurée en place jusqu'à l'élection générale du 3 novembre 1919, remportée par Richard Squires et son Parti libéral réformiste.

English version

Révisé par Jenny Higgins, April 2015
Bibliographie - Première Guerre mondiale (en anglais seulement)