Présence du Canada à Terre-Neuve et au Labrador

Avec l'escalade des risques de guerre à la fin des années 1930, le gouvernement du Canada a compris que la défense de son territoire dépendait de la protection de Terre-Neuve et du Labrador. Si jamais l'ennemi y prenait pied, toute la côte Est du Canada et la circulation des convois deviendraient vulnérables aux attaques. En outre, le minerai de fer de l'île Bell était vital pour l'industrie sidérurgique canadienne, et les aéroports de Gander et de Botwood servaient de tremplins aux vols transatlantiques.

Conscients que Terre-Neuve était dépourvue des ressources nécessaires pour assurer adéquatement sa défense, les gouvernements de Grande-Bretagne et du Canada ont convenu que ce dernier en assumerait la responsabilité. S'adressant au Parlement le 8 septembre 1939, Mackenzie King, le premier ministre du Canada, déclarait : « L'intégrité de Terre-Neuve et du Labrador est essentielle à la sécurité du Canada. En contribuant au mieux de nos capacités à la défense de Terre-Neuve (…), nous ne ferons pas que défendre le Canada, mais viendrons aussi en aide à la Grande-Bretagne. » [Traduction libre]

Stratégie défensive

Dans les années subséquentes, le Canada allait investir 65 millions de dollars pour agrandir les aéroports de Gander et de Botwood, et construirait une base navale à St. John's, une installation de réparation de navires à Bay Bulls et des bases aériennes à Torbay et à Goose Bay. Des unités d'infanterie et d'artillerie seraient aussi stationnées à ces bases pour en assurer la protection.

Les travaux ne débuteront vraiment qu'au printemps et à l'été 1940, après que l'Allemagne eût vaincu la France et envahi une large part de l'Europe occidentale. De peur que l'Amérique du Nord ne soit la prochaine victime si l'Angleterre venait aussi à tomber, la Commission de gouvernement, avec l'accord de la Grande-Bretagne, a autorisé en juin les Forces militaires canadiennes à poster des unités aériennes et terrestres à Gander et à Botwood.

À la faveur d'une série de conférences, Terre-Neuve et le Canada ont conçu une stratégie de défense commune : des troupes canadiennes seraient stationnées à Terre-Neuve, les soldats terre-neuviens combattraient sous les ordres du commandement canadien, et les Terre-Neuviens pouvaient être recrutés dans les Forces armées canadiennes. L'Armée et la Marine canadiennes établiraient leurs quartiers généraux à St. John's, tandis que l'Aviation royale canadienne (ARC) baserait ses activités à Gander.

En 1941 et 1942, le Canada a agrandi ses bases de Gander et de Botwood, et aménagé des terrains d'aviation flambant neufs à Torbay et à Goose Bay. La période de prospérité amenée par ces travaux allait créer des milliers d'emplois pour les habitants et aider à revitaliser l'économie exsangue du pays. Entre 1943 et 1945, quelque 16 000 soldats canadiens auront été cantonnés pour un temps à Terre-Neuve ou au Labrador.

Répercussions sociales

Les rapports entre les gens du coin et les Canadiens de passage étaient généralement cordiaux, bien que marqués de quelques tensions. Même si nombre de Terre-Neuviens et de Labradoriens avaient trouvé des emplois stables sur les bases militaires, ils étaient moins bien rémunérés que leurs collègues canadiens. À St. John's, un sentiment général de surpeuplement créait des frictions, forçant le gouvernement canadien à limiter le nombre de dépendants autorisés à accompagner les membres des Forces canadiennes dans la capitale. Le bail de 99 ans sur la base de Goose Bay, cédé au Canada sans consultation populaire, a aussi soulevé de vives protestations.

Ceci dit, exception faite de Goose Bay, le gouvernement canadien n'aura pas négocié d'ententes à long terme pour ses installations à Terre-Neuve et au Labrador durant la guerre, concluant plutôt une série d'ententes moins officielles avec la Commission de gouvernement pour traiter de divers besoins ponctuels. En contraste, les rapports de Terre-Neuve avec les États-Unis se sont limités à une seule entente, paraphée le 27 mars 1941, accordant des baux de 99 ans aux bases américaines de Stephenville, de St. John's et d'Argentia.

Certains historiens suggèrent que cette différence tenait aux positions respectives des deux pays vis-à-vis la guerre. Le Canada était entré en guerre en 1939 et son soutien était acquis, alors que les États-Unis resteraient neutres jusqu'en décembre 1941; craignant que la coopération des Américains ne dépende en partie de baux favorables pour leurs bases à Terre-Neuve, Londres a tout fait pour accommoder leurs désirs. Quant au gouvernement canadien, ses visées politiques sur Terre-Neuve et le Labrador le motivaient à en assurer la défense.

La présence américaine à Terre-Neuve et au Labrador causait toutefois des inquiétudes à Ottawa. Conscient de ses intérêts durables sur ce territoire, le Canada craignait la création d'un « deuxième Alaska » sur sa côte Est. En juillet 1941, le gouvernement canadien a voulu renforcer ses liens avec Terre-Neuve en y instituant un haut-commissariat, type de mission normalement réservée aux états indépendants du Commonwealth (les dominions).

Fin des hostilités

Avec le retour de la paix en Europe, les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve ont ajusté leurs accords de défense. L'Aviation royale canadienne a rendu à Terre-Neuve les aéroports de Botwood et de Gander en retour d'un million de dollars et de pouvoirs militaires en cas d'urgence. Elle a aussi transféré le terrain d'aviation de Torbay au gouvernement canadien, qui en a fait un aéroport civil en 1946. Par la suite, Goose Bay est restée la seule base sous le commandement de l'ARC. La Marine royale du Canada a aussi réduit sa présence à Terre-Neuve rapidement après la fin des hostilités, remettant le contrôle de sa base de St. John's à l'Amirauté britannique.

La Deuxième Guerre mondiale a certes été une catastrophe économique et politique pour l'Europe, mais elle aura beaucoup contribué au rapprochement entre Terre-Neuve et le Labrador et le Canada.

L'établissement de bases militaires étrangères a grandement amélioré la situation financière locale, et tout le monde voyait venir le remplacement de la Commission de gouvernement. Dès 1945, les dirigeants d'Ottawa avaient compris que leur voisin de la côte est était appelé à jouer un rôle vital dans la courtepointe canadienne et voulaient l'attirer dans la Confédération.

L'idée aura aussi séduit une majorité de Terre-Neuviens et de Labradoriens. À l'issue d'un référendum tenu le 22 juillet 1948, ils ont choisi de devenir la dixième province du Canada plutôt que de se faire diriger par un gouvernement responsable. Il est largement accepté que les événements de la Deuxième Guerre mondiale auront favorisé l'intégration de Terre-Neuve et du Labrador dans l'économie nord-américaine et, à la limite, inspiré leur union avec le Canada.

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