La politique et le syndicat Fishermen's Protective Union

L'organe politique du syndicat Fishermen's Protective Union (F. P. U.) est le premier parti politique de Terre-Neuve et du Labrador dont l'assise est une classe sociale. Fondé en 1908 par William Coaker, ce syndicat cherche à procurer aux pêcheurs une part plus importante de la richesse qu'ils génèrent. Les sections locales qu'il met en place dans plusieurs petites collectivités ont la responsabilité d'élire des comités exécutifs. C'est à eux que revient ensuite le choix des délégués régionaux composant les instances dirigeantes. Enfin, ces dernières désignent par vote les membres de la haute direction. La présence d'associations d'assistance mutuelle, par exemple les loges orangistes (Orange Lodge), compense l'absence d'un palier local de gouvernement dans les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador. Ces organismes apprennent aux pêcheurs le fonctionnement interne du processus démocratique. Le syndicat table sur cette structure organisationnelle.

William Coaker (1871-1938), s.d.
William Coaker (1871-1938), s.d.
William Coaker fonde le syndicat Fishermen's Protective Union en 1908.
Tiré de Who's Who in and from Newfoundland 1930, de Richard Hibbs, R. Hibbs, 2e éd., St. John's, T.-N.-L., 1930, p. 65. Tirage.

Les premiers pas politiques

Le syndicat (F. P. U.) s'embarque dans de nombreuses activités économiques ayant pour but d'améliorer le sort des pêcheurs et des ouvriers forestiers. William Coaker saisit bien que, pour parvenir à une transformation socio-économique durable, il faut agir dans un cadre gouvernemental. Dans la publication qui s'adresse à ses membres, le syndicat leur offre non seulement des renseignements sur les activités syndicales, mais aussi les moyens de mieux négocier avec les marchands. Avant même qu'il n'ait mis sur pied ses propres établissements commerciaux, le syndicat présente des candidats à l'élection de la Chambre d'assemblée.

Les ambitions politiques du syndicat convergent vers l'adoption de politiques réformant le secteur de la pêche et l'établissement de programmes sociaux; elles ne concernent nullement l'exercice du pouvoir. Le syndicat entend surtout jouer de son influence sur le gouvernement, mais non pas gouverner. Il propose donc un nombre suffisant de candidats pour ravir un certain nombre de sièges à la Chambre d'assemblée, et évite ainsi de former une majorité et un gouvernement. Le nombre de sièges remportés lui permet d'appuyer l'un ou l'autre des principaux partis en fonction des politiques les plus favorables aux pêcheurs. Cette vitrine politique du syndicat remplit un important mandat, mais le choix d'un nombre restreint de députés implique le refus définitif d'une prise de pouvoir.

Le drapeau du syndicat
Le drapeau du syndicat
Tiré de Who's Who in and from Newfoundland 1930, de Richard Hibbs, R. Hibbs, 2e éd., St. John's, T.-N.-L., 1930, p. 307. Tirage.

En quelque sorte, le syndicat reflète la réalité politique dans lequel il évolue dans sa décision de s'en tenir à la balance du pouvoir. Il peut compter sur un solide soutien sur la côte nord-est de l'île de Terre-Neuve, une région où les hommes se retrouvent souvent ensemble à bûcher l'hiver, à chasser le phoque au printemps et à pêcher dans les eaux du Labrador. Ils discutent alors de préoccupations similaires et de l'exploitation qu'ils subissent tous. L'implantation du syndicat se révèle plus ardue dans la péninsule d'Avalon, plus peuplée. Peu d'électeurs lui accordent leurs votes. Les pêcheurs et les travailleurs de ce territoire ne se croisent pas dans une même sphère de travail comme ceux plus au nord. Par ailleurs, l'Église catholique leur déconseille de se joindre à un syndicat. De tendance conservatrice, sa hiérarchie condamne « l'esprit matérialiste » qui anime les mouvements syndicaux. L'organisation de plusieurs sections du syndicat dans des salles de réunion de loges orangistes attise encore davantage la méfiance de l'Église catholique qui semble y détecter une entité secrètement anti-catholique. L'antagonisme que lui manifestent les marchands de la rue Water, l'Église catholique et la classe ouvrière de St. John's auraient sans doute freiné l'ascension au pouvoir du syndicat.

La plateforme Bonavista

En 1912, le syndicat formule des objectifs politiques de grande envergure mieux connus sous le nom de plateforme Bonavista. Ce document propose une vaste réforme du secteur de la pêche, des mesures sociales et une réforme de la gouvernance. Il préconise une commercialisation coopérative et la gestion du classement du poisson sous contrôle de l'État. Cette mesure améliorerait le revenu des pêcheurs. Il réclame aussi une bonification du régime de retraite et une baisse des taxes sur les aliments de base. Il recommande une refonte législative pour assurer une démocratisation plus poussée du système politique. Il évoque enfin la possibilité d'une disposition de révocation d'un député ayant perdu la faveur de ses électeurs et suggère une augmentation de la rémunération des députés. Ainsi, ceux ne jouissant pas d'une indépendance financière pourraient tout de même remplir la fonction de député.

L'alliance avec le Parti libéral

En 1913, le syndicat présente pour la première fois des candidats à l'élection. Il forge alors une alliance forcée avec le Parti libéral, car leurs électeurs se situent dans les mêmes circonscriptions. Toutefois, dans cette alliance inconfortable, aucun des deux ne veut fractionner le vote. Pourtant, c'est ce qui se produit. Le Parti libéral perd des sièges et le syndicat fait élire huit de ses neuf candidats. Le Parti populaire (People's party) remporte les sièges de la péninsule d'Avalon à majorité catholique, en plus de nombreux sièges dans la baie de la Conception qui font pencher la balance en sa faveur. Il forme donc le gouvernement, mais avec une majorité réduite. L'organe politique du syndicat devient le parti le plus important de l'opposition. William Coaker permet toutefois au Parti libéral de prendre la tête de l'opposition. Le syndicat élargira difficilement sa base politique à l'extérieur du nord de l'île.

Port Union, s.d.
Port Union, s.d.
Port Union était le foyer du syndicat.
Tiré de The Fisheries and Resources of Newfoundland, de Michael Condon, St. John's, T.-N.-L., 1925, p. 296. Tirage.

La formation d'un gouvernement national

À l'instar d'autres hommes politiques ailleurs dans le monde, la classe dirigeante de Terre-Neuve et du Labrador juge d'un mauvais œil toute résistance à l'effort de guerre. Il s'agit pour eux d'un manque de patriotisme qui encourage l'ennemi. D'où la formation d'un gouvernement national en 1917. William Coaker entre au cabinet au poste de ministre des Pêches. Il aurait donc toute latitude pour faire progresser quelques-uns des éléments formulés dans la plateforme du syndicat. Pourtant, la situation délicate qui prévaut en temps de guerre et le refus de collaborer des entreprises d'exportation du poisson le vouent à l'échec. À titre de ministre, il se déclare favorable à la conscription malgré l'objection de la plupart des membres du syndicat. Ce soutien porte un dur coup à sa crédibilité. De même, ses responsabilités gouvernementales et ses obligations professionnelles creusent un large fossé entre les syndiqués et lui. À son zénith politique, le syndicat amorce son déclin.

Des turbulences

La coalition du gouvernement national se désintègre une fois la guerre finie. L'arène politique entre alors dans la tourmente. Confronté à une puissante force antisyndicale après la guerre, William Coaker rejoint les rangs du gouvernement libéral de Richard Squire à contrecœur. Il espère toujours mener à bon port son programme politique. Dans ses fonctions de ministre de la Marine et des Pêches, il fait adopter des mesures de modernisation du secteur de la pêche. Surtout, il veut que les entreprises locales d'exportation du poisson cessent de rivaliser entre elles sur les marchés internationaux et ainsi vendre à bas prix le poisson. Ces entreprises se rebellent contre une intervention gouvernementale. Leur animosité les amène à contourner les politiques conçues précisément pour leur venir en aide. L'engagement politique de William Coaker s'étiole avec l'abandon des propositions qu'il a pilotées. Il gère de plus en plus les entreprises du syndicat comme un simple marchand. Il délaisse son programme de réforme socio-économique et le populisme ponctuel qu'il a exploité et adopte une direction plutôt autocratique.

Le charisme de son chef avait été le moteur du syndicat. Sa retraite semble lui couper les ailes. Le désenchantement qui frappe la majorité des membres résulte des attentes utopiques auxquelles il n'a pu répondre. Les membres ne croient plus à la participation du syndicat en politique.

La Commission de gouvernement de Terre-Neuve

Pour plusieurs, une révision en profondeur du système politique semble s'imposer comme une nécessité après une succession de gouvernements de courte durée et la corruption ambiante dans les hautes sphères du pouvoir. William Coaker le croit aussi. Il démissionne de son poste à la Chambre d'assemblée au moment où le gouvernement frôle une grave crise financière et la catastrophe politique. Pendant la Crise économique, il n'est pas le seul à vouloir renoncer au système parlementaire. Selon lui, seul un autocrate peut régler de tels problèmes socio-économiques et donne l'exemple du dictateur italien Benito Mussolini. En 1933, une commission royale d'enquête britannique examine la situation politique et financière de Terre-Neuve et du Labrador. William Coaker prône la fin du gouvernement démocratique et la nomination d'une commission chargée de l'administration de la colonie (la Commission de gouvernement).

Le syndicat poursuit, malgré tout, ses activités et la gestion de ses entreprises au profit des pêcheurs et des ouvriers forestiers, mais son rôle politique est dorénavant amoindri. Le syndicat persiste même après l'entrée de la province dans la confédération et le retour à la vie démocratique, mais en 1960, il n'existe plus.

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