Naissance d'une province

Après une brève hésitation, le gouvernement canadien accepte le résultat du référendum de 1948, puis amorce des négociations officielles avec la délégation de Terre-Neuve. Une fois convenues les conditions de l'union, c'est au gouvernement canadien et à la Commission de gouvernement de les approuver. Le parlement britannique amende ensuite l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

La délégation est dirigée par Albert Walsh, l'un des membres de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve.

Sir Albert J. Walsh
Sir Albert J. Walsh
Avec la permission des archives (B 1-155), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

La délégation comprend également des partisans de l'entrée dans la fédération canadienne tels que Joseph Smallwood et Gordon Bradley, ainsi que le dernier président de la Convention nationale, John McEvoy. Philip Gruchy, directeur de l'usine de papier de Grand Falls, Chesley Crosbie et Gordon Winter représentent le milieu des affaires. Après avoir pris part à de multiples réunions préparatoires, la délégation prend le chemin d'Ottawa le 6 octobre 1948.

Un avant-projet des conditions, élaboré en 1947, sert de point de départ aux négociations. Les membres de la délégation cherchent à obtenir cependant une meilleure entente financière. Cet enjeu soulève nombre de difficultés. Le gouvernement canadien consent pourtant à augmenter de façon notable une subvention transitoire versée sur 12 ans. La gestion du secteur de la pêche constitue aussi une autre pomme de discorde. Mis à part Chesley Crosbie, insatisfait des modalités financières, tous signent l'entente finale le 11 décembre.

Signature des Conditions de l'union
Signature des Conditions de l'union
Signature des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada, le 11 décembre 1948
Photographe inconnu. Avec la permission d'Archives nationales du Canada (PA-128072). Tiré de Part of the Main: An Illustrated History of Newfoundland and Labrador, de Peter Neary et Patrick O'Flaherty, Breakwater Books, St. John's, T.-N.-L., ©1983, p. 164. Tirage.

La pétition pour un gouvernement responsable

À St. John's, les opposants les plus déterminés de l'entrée dans la fédération canadienne tentent de freiner le processus. La pétition que fait circuler l'organisme Responsible Government League recueille 50 000 signatures pour le rétablissement d'un gouvernement responsable. Peter Cashin et d'autres éminents citoyens se rendent à Londres dans l'espoir de modifier en leur faveur l'opinion des parlementaires britanniques. Ils n'y parviennent pas. La deuxième stratégie qu'ils adoptent est un recours en justice contre la Commission de gouvernement. Ils allèguent que les mesures législatives relatives à la Convention nationale et la tenue de référendums sont anticonstitutionnelles. Toujours selon eux, seul un gouvernement dûment élu a le pouvoir d'autoriser l'entrée dans la Confédération. L'action judiciaire est rejetée.

Le 17 février 1949, le parlement canadien donne son accord. La Commission de gouvernement fait de même. Le parlement britannique entame des débats sur le sujet le 22 février. À la fin de mars, la loi atteint le stade final de l'adoption.

La nouvelle province

Pendant ce temps, des discussions vont bon train sur le mode de gestion qui aura cours entre la date d'entrée de la nouvelle province dans la Confédération le 31 mars et la tenue de la première élection provinciale. Après avoir mené de nombreuses consultations, le premier ministre du Canada de l'époque, Louis St-Laurent, nomme Albert Walsh au tout nouveau poste de lieutenant-gouverneur. Il est entendu que ce dernier demandera à Joseph Smallwood de former avec lui un gouvernement intérimaire. Gordon Bradley, pour sa part, entrera au cabinet fédéral.

Le 1er avril 1949, Albert Walsh procède à l'assermentation de Joseph Smallwood et de son cabinet. À Ottawa, au parlement, Gordon Bradley prête serment à titre de secrétaire d'État. « Dans son discours, il déclare que ce moment restera gravé dans les annales de l'Amérique du Nord. Il ajoute que c'est une journée où c'est réalisé une immense victoire, la vision de grands hommes qui ont préparé la naissance du Canada il y a plus de 80 ans. Il affirme que les pensées de tous présents ici en cette journée incomparable remontent le cours du temps vers ces hommes visionnaires que sont John A. Macdonald, Georges Brown et Georges-Étienne Cartier au Canada, et pour Terre-Neuve, F.B.T. Carter et Ambrose Shea. Qu'il faut les imaginer contemplant cette scène en silence et approuvant de tout cœur. Il termine en soulignant que cette union marque l'unité de la nation. Nous sommes désormais tous des Canadiens… », atteste-t-il.

Publication d'une élégie

De profondes divisions ont déchiré Terre-Neuve et le Labrador au cours des trois années et demie précédentes. Bon nombre de citoyens restent attristés et amers devant l'issue des événements. Le journaliste Albert Perlin fait paraître une élégie dans le quotidien Daily News de St. John's pour exprimer ses sentiments :

On this day of final parting sad nostalgic
         thoughts arise,
Thoughts to bring hot tears surging to the
         Newfoundlander's eyes.

Thoughts that bring to mind the story of the
         struggles of the past,
Of the men who built our island, nailed its colours to
         the mast.

..........

Sold by only half the people, all too willing
         to deny
For illusionary profits what the future might
         imply.

They have bought confederation paying in the
         country's pride.
Let us hope their expectations will be amply
         satisfied.

Those who lost the fight for freedom have the
         greater pride this day,
Though their country's independence lies the victim
         of the fray.

[Des pensées mélancoliques nous accompagnent aujourd'hui
Attristés, plusieurs Terre-Neuviens en sont au bord des larmes

Se souvenant des luttes passées des bâtisseurs
Qui ont levé bien haut nos couleurs.

..........

Vendue par la moitié seulement de ses habitants, trop heureux d'occulter
Pour des gains illusoires l'avenir qu'ils auraient pu dessiner.

Ils ont acquis la confédération au prix de notre fierté.
Espérons que leurs attentes seront comblées.

Ceux qui ont perdu leur combat pour la liberté n'en sont que plus fiers
Même si à leurs pieds gît l'autonomie de leur pays.]

[Traduction libre]

Ces divisions ont également défini l'avenir de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Les débats qui entourent les péripéties des années 1940 ne sont pas prêts de se terminer.

English version