Les gouverneurs civils

Les gouverneurs civils représentent la Couronne à Terre-Neuve et au Labrador et y font respecter la Constitution. Cinq gouverneurs y sont nommés par le gouvernement britannique entre 1825 et 1855 soit sir Thomas Cochrane (1825-1834), sir Henry Prescott (1834-1841), sir John Harvey (1841-1846), sir John LeMarchant (1847-1852) et Ker Hamilton (1852-1855). La fonction de gouverneur civil prend fin en 1855 avec l'avènement d'un gouvernement représentatif dans la colonie. Le premier gouverneur colonial est alors sir Charles Darling.

Government House, 1851
Government House (résidence du gouverneur), 1851
Le gouverneur Thomas Cochrane fait construire Government House, une résidence officielle durant son mandat qui dure de 1825 à 1834. Tous les gouverneurs et lieutenants-gouverneurs de Terre-Neuve et du Labrador l'habitent depuis 1828.
Tiré de Newfoundland: A Pictorial Record, de Charles de Volpi. Longman Canada Limited, Sherbrooke, Québec, ©1972, p. 71. Tirage.

Les gouverneurs civils influent énormément sur l'administration de la colonie. Pourtant, leur autorité n'est ni absolue ni incontestée. L'ascension de la presse indépendante et l'essor que prend le mouvement de réforme politique au cours des premières décennies du 19e siècle les obligent à plus de transparence envers à la population. L'instauration en 1832 d'un gouvernement représentatif exige dorénavant qu'ils collaborent avec l'assemblée élue.

Les débuts de cette fonction

Avant la nomination du premier gouverneur civil en 1825, ce poste était généralement occupé par un officier de la Marine royale britannique. Les gouverneurs de la marine étaient nommés par le gouvernement de Londres, mais relevaient de l'Amirauté. Ce régime administratif fut institué en 1729 lorsque le nombre de pêcheurs migratoires (saisonniers) dépassaient largement le nombre de pêcheurs insulaires.

La situation a bien changé au début du 19e siècle. Les pêcheurs insulaires ont supplanté les pêcheurs migratoires et la population de Terre-Neuve était en pleine croissance. Des citoyens font alors campagne en faveur d'une réforme politique. Ils affirment que l'administration de la marine est archaïque, inefficace et arbitraire. Selon eux, une administration militaire ne convient pas à une population civile. Ils demandent un gouvernement élu et responsable de ses actes devant la population et non envers le gouvernement britannique. Les partisans de la réforme réclament également une refonte complète du système judiciaire. Ils visent à faire cesser, entre autres, la nomination, par le gouverneur de la marine, de personnes sans formation juridique au poste de juges subrogés responsables de la justice dans les villages côtiers.

Dans les années 1820, le mécontentement général de la population face à cette administration contraint le gouvernement britannique à réagir. Il adopte en 1824 la Loi sur les tribunaux judiciaires. Il accorde alors officiellement à Terre-Neuve et au Labrador le statut de colonie et réorganise le système judiciaire. Londres n'accepte pas la demande d'un gouvernement représentatif, mais il met fin à l'administration de la marine et nomme un gouverneur civil.

Le gouverneur sir Thomas Cochrane

Sir Thomas Cochrane, le nouveau gouverneur civil nommé par le gouvernement anglais, débarque à St. John's en 1825. Il occupe cette fonction pendant neuf ans. Malgré son statut de gouverneur civil, Thomas Cochrane est un officier de la marine et la Loi sur les tribunaux judiciaires modifie peu ses fonctions. Il gère les affaires politiques et judiciaires de la colonie et garde les pleins pouvoirs jusqu'en 1832, l'année où Londres accède à la demande d'un gouvernement représentatif.

Sir Thomas Cochrane (1789-1872)
Sir Thomas Cochrane (1789-1872)
Sir Thomas Cochrane, le nouveau gouverneur civil nommé par le gouvernement anglais pour Terre-Neuve et le Labrador, débarque à St. John's en 1825. Il occupe cette fonction pendant neuf ans.
Artiste inconnu. Autorisé sous licence dans le domaine public par Wikimedia Commons

La Loi sur les tribunaux judiciaires autorise le gouverneur Cochrane à former un conseil composé d'un juge en chef, de deux juges auxiliaires et d'un commandant militaire. Ce conseil purement consultatif n'exerce aucune véritable influence sur le gouverneur. Le gouverneur Cochrane entend doter St. John's d'une charte qui lui permettrait à titre d'administration municipale d'adopter des règlements. Sa tentative échoue, car les marchands locaux s'y opposent. Ils craignent l'imposition de taxes et ne sont pas les seuls dans la colonie à rejeter toute idée de taxation.

Il dirige donc la colonie sans intervention ni opposition pendant la majeure partie de son mandat. Par contre, l'arrivée d'une presse indépendante locale et d'un mouvement de réforme au début du 19e siècle permet à la population d'examiner à la loupe chacune de ses décisions et de les remettre en question. Si la publication Royal Gazette est un organe gouvernemental, l'île compte de nombreux journaux indépendants vers la fin des années 1820. Parmi ceux-ci, le Newfoundland Mercantile Journal, le Newfoundland Sentinel, le Public Ledger, le Newfoundlander, le Harbor Grace and Carbonear Weekly Journal et le Conception Bay Mercury.

Des personnes bien en vue publient aussi des dépliants de propagande politique qui circulent dans la population. Deux de ces auteurs sont des partisans de la réforme, William Carson et Patrick Morris. Pour la première fois dans l'histoire de la colonie, ses citoyens peuvent prendre connaissance des mesures et des politiques mises de l'avant par l'administration grâce à diverses publications et les étudier. Quoique toutes ne se montrent pas hostiles au gouvernement Cochrane, elles offrent néanmoins aux citoyens la possibilité de scruter et de discuter librement de la conduite de la colonie.

Le gouvernement représentatif et la fonction de gouverneur

La Grande-Bretagne cède sous la pression toujours plus forte du mouvement de réforme et accorde à la colonie en 1832 le droit à un gouvernement représentatif. Le gouverneur Cochrane se voit donc obliger de collaborer avec les représentants choisis par les électeurs. La colonie n'est plus simplement dirigée par lui et le conseil d'administration (nommé), mais également par la Chambre d'assemblée (élue). Toute nouvelle loi adoptée par le gouverneur doit recevoir l'approbation du conseil et de la Chambre d'assemblée.

Les changements apportés au processus gouvernemental ne diminuent en rien l'importance de la fonction de gouverneur. Celui-ci déclare ouvertes et closes les séances de la Chambre d'assemblée et conserve la compétence d'en proroger la session. Il peut y présenter des projets de loi pour y être débattus et doit accepter un projet de loi avant son adoption. Même si l'approbation ou le rejet de projets de loi revient au gouvernement britannique, le gouverneur peut lui faire part de son opinion puisqu'il relève directement de l'office de colonie.

Les relations entre les membres du conseil nommés par le gouverneur et les membres élus sont tendues. Ces derniers veulent élargir leur pouvoir politique. Pour leur part, la majorité des membres du conseil n'admettent pas la notion de gouvernement représentatif. La discorde affecte le déroulement des activités gouvernementales. En 1842, le nouveau gouverneur de la colonie, sir John Harvey, et l'office de colonies tentent de regrouper le conseil et la Chambre d'assemblée en un seul organisme afin de remédier à ce problème. L'assemblée temporaire issue de cette fusion tiendra six ans.

Sir John Harvey, s.d.
Sir John Harvey, s.d.
En 1842, le gouverneur sir John Harvey et l'office des colonies fusionnent temporairement le conseil d'administration et la Chambre d'assemblée dans une tentative d'harmonisation du gouvernement.
Artiste inconnu. Avec la permission des archives (VA 27-39a), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Le nouveau système fonctionne assez bien pendant le mandat du gouverneur Harvey, mais sa dissolution en 1848 ravive les tensions au retour du système à deux chambres. Cette dernière structure reste intacte jusqu'en 1855, soit jusqu'à l'entrée en activité du gouvernement responsable.

Les gouverneurs

La Grande-Bretagne nomme cinq gouverneurs civils entre 1825 et 1855. Certains d'entre eux font progresser la colonie, et d'autres s'abstiennent. Ainsi, sir Thomas Cochrane favorise le développement agricole et la construction de routes. C'est lui qui fait bâtir la somptueuse Government House (résidence du gouverneur) sur le chemin Military à St. John's et dont la construction se termine en 1831.

Pendant son mandat, sir Henry Prescott présente la première loi en matière d'éducation. Sir John Harvey appuie aussi le développement agricole et la construction routière, ainsi que l'établissement de moyens de communication. Il met en place un service de navires à vapeur entre St. John's et Halifax. Il est l'un des cofondateurs d'une société agricole (Agricultural Society) à Terre-Neuve.

Le mandat de sir John LeMarchant entre 1847 et 1852 est un modèle d'impopularité. Il entre en fonction peu après l'incendie qui ravage St. John's et fait des milliers de sans-abris. Pourtant, il détourne les fonds de secours vers la réalisation de travaux publics, entre autres, des réparations à la résidence Government House. Il enflamme le sectarisme dans la colonie en donnant son soutien à l'évêque anglican Edward Feild qui désapprouve le financement public des établissements scolaires catholiques et la concession de droits touchant l'éducation, le mariage et le baptême aux méthodistes.

Le gouverneur sir John LeMarchant, vers 1855
Le gouverneur sir John LeMarchant, vers 1855
Sir John LeMarchant occupe le poste de gouverneur de la colonie de 1847 à 1852.
Artiste inconnu. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (co. no R9266-2996).

Durant le bref mandat du gouverneur Ker Hamilton de 1852 à 1855, la constitution d'un gouvernement responsable dans la colonie alimente de vifs débats. La Grande-Bretagne est prête à accorder ce droit à la colonie en 1854, mais le gouverneur s'y oppose. Il tente notamment de retarder les élections jusqu'en 1855 afin de nuire à sa mise en place. Cette année-là, sir Charles Darling devient le premier gouverneur colonial nommé par la Grande-Bretagne.

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