L'électrification

Lors de l'entrée de la province dans la Confédération en 1949, un peu plus de la moitié des habitants sont branchés à un réseau électrique. Les centrales électriques déjà en activité ne peuvent guère augmenter leur production. La construction d'autres centrales devient donc nécessaire si Joseph R. Smallwood veut tenir sa promesse d'électrifier les zones rurales. Les compagnies de service public ou les usines de pâtes et papiers comme celles situées à Grand Falls et Corner Brook fournissent de l'électricité à certaines régions. En 1954, le gouvernement met sur pied la Newfoundland Power Commission. Entre 1954 et 1972, chaque habitant ou presque de l'île est relié à un réseau électrique.

L'hydroélectricité

Au cours de la campagne électorale de 1949, Joseph R. Smallwood s'engage à exploiter les ressources hydrauliques de la province, car la pierre angulaire du développement industriel réside dans l'accès à une énergie électrique peu coûteuse, assure-t-il. Les usines de Grand Falls et Corner Brook n'auraient pu se développer sans cette électricité bon marché. Toujours selon lui, Terre-Neuve jouit d'un vaste potentiel d'énergie hydraulique actuellement gaspillé. (Evening Telegram, le 16 mai 1949) Ainsi, dès son entrée en fonction, il s'attaque à l'exploitation de l'énergie hydraulique. Il tente de courtiser des entrepreneurs en leur faisant miroiter le faible coût de l'électricité. De 1950 à 1953, le directeur général du Développement économique de Terre-Neuve, Alfred Valdmanis, cherche à faire venir des experts allemands et des capitaux pour y aménager les ressources hydroélectriques des rivières Bay d'Espoir et Grand Le Pierre. Le premier ministre Smallwood veut l'implantation de deux nouvelles usines de pâtes et papiers, l'une à Bay d'Espoir et l'autre au Labrador. Leur viabilité économique repose sur l'exploitation du fleuve Hamilton (rebaptisé fleuve Churchill en 1965), la production d'électricité à bon marché et l'accès au bois d'œuvre.

Alfred Valdmanis, s.d.
Alfred Valdmanis, s.d.
Alfred Valdmanis occupe la fonction de directeur général du Développement économique de Terre-Neuve-et-Labrador entre 1950 et 1953.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.081), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En 1952, Joseph R. Smallwood, Alfred Valdmanis et le procureur général Leslie Curtis s'envolent pour Londres. Ils tiennent à faire connaître les besoins de la province en matière de développement, et plus particulièrement celui de ses ressources hydrauliques. Ce voyage offre à Joseph R. Smallwood l'occasion de rencontrer des hommes d'affaires qui fonderont plus tard la société British-Newfoundland Company (Brinco). Au début des années 1960, la société Newfoundland Light and Power entend aussi mettre en valeur les ressources hydrauliques de Bay d'Espoir. Cette énergie électrique est essentielle aux besoins d'une future aluminerie qui se situera sur la côte méridionale de l'île.

Au milieu des années 1960 et après une réforme de la Commission d'énergie, le gouvernement provincial entreprend la construction de sa première entreprise publique, une centrale hydroélectrique à Bay d'Espoir. Celle-ci produira de l'électricité peu coûteuse, élargira l'ensemble des services publics et favorisera la venue de nouvelles entreprises. La Commission d'énergie prévoit aussi un réseau de transport d'énergie électrique dans toute l'île afin de raccorder tous les réseaux de production et de distribution.

La politique gouvernementale de réduction des tarifs d'électricité n'intéresse qu'une seule entreprise qui compte aussi sur des subventions fédérales et provinciales pour s'établir dans la province. C'est une usine de production de phosphore élémentaire, l'Electric Reduction Company of Canada (ERCO). Le gouvernement propose également de l'électricité à faible coût à deux usines de pâtes et papiers dont les centrales électriques respectives ne suffisent pas à la demande.

Des dépenses

Le gouvernement justifie cette politique en déclarant que ses rentrées fiscales et autres avantages connexes seront supérieurs aux subventions versées. Dans les exposés budgétaires de 1969 et 1970, le gouvernement s'attend à ce que sept nouvelles entreprises profitent de tarifs d'électricité réduits entre 1967 et 1986, soit une raffinerie de pétrole et une usine de pâtes et papiers situées à Come by Chance, une fabrique de carton doublure, une scierie et une usine de fabrication de bâtons de hockey localisées à Stephenville, une usine de transformation des produits de la forêt à Hawkes Bay, et enfin une usine de production de phosphore élémentaire à Long Harbour. Ces entreprises rapporteraient au Trésor public plus de 180 millions de dollars. Toutefois, seules la raffinerie de pétrole et l'usine de carton doublure restent en activité plus d'un an, quoique l'historique de la raffinerie est assez mouvementé. À vrai dire, la politique d'électricité à faible coût du gouvernement n'amène véritablement dans la province que l'usine de carton doublure.

Grâce à sa subvention à la consommation d'électricité, la société Electric Reduction Company of Canada (ERCO) ne paie qu'un taux par mille de 2,5 le kilowatt-heure (environ la moitié du tarif de l'époque) pendant 25 ans si elle s'installe dans la péninsule d'Avalon. Elle a également droit à une émission d'obligations de 15 millions de dollars pour soutenir la construction de son usine. Le fédéral, pour sa part, verse 2 millions de dollars destinés à la construction d'une route entre l'usine et la collectivité locale. Il met également à la disposition de l'entreprise un quai et des installations portuaires, en plus de lui octroyer une somme de 5 millions de dollars par l'entremise d'une loi conçue pour stimuler le développement régional (Area Development Incentives Act). Ces mesures incitatives créent 550 emplois. Toutefois, le taux de rendement est modeste comparativement à l'importance des fonds publics investis. Les matières premières proviennent principalement de la Floride, et le produit final est exporté vers la Grande-Bretagne. De 1968 à 1971, l'entreprise ERCO bénéficie d'une baisse de plus de 10 millions de dollars en tarifs d'électricité. En 1973-1974, cette entreprise et les deux usines de pâtes et papiers épargnent annuellement jusqu'à 6,5 millions de dollars en coûts d'électricité.

L'usine de production de phosphore d'ERCO à Long Harbour, vers 1974
L'usine de production de phosphore d'ERCO à Long Harbour, vers 1974
La société ERCO s'installe dans la province en raison de la politique d'électricité à faible coût du gouvernement, qui lui offre ainsi des tarifs deux fois moins élevés.
Avec la permission de Martha (Lake) Sanger © 1974. Photographie tirée de The Long Harbour Phosphorus Plant: Pollution of the Physical Environment de Martha Lake, document inédit, Memorial University of Newfoundland, 1974).

Avantages et inconvénients

Nombreux sont ceux qui affirment qu'il ne suffit pas d'une simple politique de réduction des tarifs d'électricité pour stimuler le développement industriel. L'exemple de la société ERCO atteste bien que d'autres mesures financières s'imposent. La création directe et indirecte d'emplois, associée à ses projets de grande envergure, plaide cependant en leur faveur, et l'emploi demeure un objectif crucial dans la province. La nature même des emplois créés et leur incidence à long terme sur l'économie méritent néanmoins un examen judicieux. La plupart étaient temporaires, car liés à la construction de la centrale hydroélectrique. D'ailleurs, ces emplois n'étaient pas si nombreux puisque les travailleurs locaux ne possédaient pas toujours les compétences recherchées. En effet, la majorité des superviseurs, des gestionnaires et des travailleurs spécialisés étaient recrutés à l'extérieur de la province. La main-d'œuvre de la province était souvent peu ou pas qualifiée. La construction terminée, ces secteurs industriels créent fort peu d'emplois permanents, car les raffineries et la production pétrolière représentent avant tout des activités hautement capitalistiques plutôt qu'à prédominance de main-d'œuvre, en plus d'être de grandes consommatrices d'énergie.

La poursuite de l'électrification

La croissance de la demande en électricité dans les années 1970 et au début des années 1980 conduit à la construction d'autres centrales hydroélectriques, notamment celle du lac Hinds amorcée en 1977 dans la zone centrale de l'île, le projet hydroélectrique sur le cours de la rivière Upper Salmon sur la côte méridionale, entrepris en 1979, et l'aménagement hydroélectrique de Cat Arm sur la côte nord-ouest en 1981. Au milieu des années 1970, la société Newfoundland Light and Power construit également une centrale électrique au mazout à Holyrood. Stephenville et St. John's voient aussi la mise en service de turbines à gaz au milieu des années 1980. L'aménagement du cours inférieur du fleuve Churchill représente un autre projet hydroélectrique, qui fait débat depuis le milieu des années 1970. Des pourparlers à ce sujet se sont poursuivis malgré l'échec d'un protocole d'entente entre le gouvernement du Québec et celui de Terre-Neuve et du Labrador.

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