Le développement à tout prix

À son arrivée au pouvoir, le gouvernement libéral, dirigé par J. R. Smallwood, annonce immédiatement son intention de moderniser l'économie de la province en mettant l'accent sur le développement et la diversification.

En juillet 1949, le premier ministre clame la nécessité de développer l'économie, car autrement ils seront des milliers à partir en quête de travail dans le reste du Canada. La création d'emplois est essentielle et donc, il faut impérativement influer sur le développement économique. Son slogan de campagne est toujours pertinent, affirme-t-il.

J.R. Smallwood
J.R. Smallwood
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection J. R. Smallwood 075, 5.04.241), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Il s'agit de rompre avec un passé marqué par la pauvreté, l'incertitude et le sous-développement. La volonté de la nouvelle administration est d'intégrer la province dans le courant économique du 20e siècle. La réalisation de cet objectif passe par un programme de croissance intensive consolidé par un financement gouvernemental, ainsi qu'une collaboration soutenue du gouvernement avec le monde des affaires.

Une approche axée sur le développement

J. R. Smallwood n'a pas préparé ni instauré de plan précis et clair. Il ne semble pas davantage avoir pris connaissance du plan de reconstruction que la Commission de gouvernement a présenté en 1944. Le bouillant et impatient premier ministre et son gouvernement novice font alors flèche de tout bois. La vitesse à laquelle les décisions sont prises est étourdissante, et ce, sur tous les fronts. On peut toutefois discerner les grandes lignes de la démarche dans laquelle s'est lancé le gouvernement.

Il y a premièrement la poursuite de la modernisation du secteur de la pêche. De fait, la pêche en haute mer est désormais prioritaire, et les prises des chalutiers hauturiers transformées dans les toutes nouvelles usines de traitement du poisson. Une fois congelé, le poisson est surtout commercialisé aux États-Unis. Vers la fin des années 1960, le gouvernement construit un chantier naval à Marystown pour l'entretien de ces chalutiers. La pêche côtière traditionnelle avec ces petits bateaux et son poisson salé dépérit peu à peu. Au Labrador, la pêche en goélette s'éteint.

Vient ensuite l'implantation de nouvelles entreprises et donc la diversification souhaitée de l'économie. Cette nouvelle responsabilité est d'abord confiée à Alfred Valdmanis, un immigrant letton. Le premier ministre l'a d'ailleurs nommé au poste de directeur général du Développement économique en 1950. Entre 1950 et 1957, 16 « nouvelles entreprises » s'installent sur la côte ouest et dans la péninsule d'Avalon. L'octroi de prêts gouvernementaux, l'excédent hérité de la Commission de gouvernement et les relations d'affaires d'Alfred Valdmanis en Allemagne n'y sont pas étrangers. La plupart de ces nouvelles entreprises ont survécu quelques années à peine. Trois entreprises seulement sont encore actives au début du 21e siècle mais finissent tous par fermer.

Enfin, J. R. Smallwood compte également exploiter les ressources naturelles de la province, c'est-à-dire ses forêts, ses minéraux et son énergie hydraulique. Le gouvernement entreprend alors en 1951 la mise sur pied d'une société d'État, la Newfoundland and Labrador Corporation ou NALCO. Il lui confère de vastes droits d'exploration, ainsi que le mandat de développer les ressources de l'île et du Labrador. Elle ne parvient pourtant pas à rassembler les capitaux nécessaires. Elle cède alors la majorité de ses droits à un consortium privé, la British Newfoundland Corporation ou BRINCO officiellement fondé en 1953, qui regroupe des banques britanniques et canadiennes, et des entreprises prêtes à investir dans l'exploitation des ressources naturelles.

Le développement industriel

Le consortium BRINCO participe de près au développement de l'énergie hydraulique de Churchill Falls (amorcé en 1966) par l'intermédiaire de sa filiale Churchill Falls (Labrador) Corporation (CFL Co). Pour le premier ministre Smallwood, l'avenir et l'essor économique de la province dépendent de l'exploitation d'une richesse hydroélectrique abondante et peu coûteuse à laquelle ne pourraient résister les entreprises. Churchill Falls et l'aménagement d'une grande centrale électrique à Bay d'Espoir (dès 1965) font partie intégrante de cette stratégie. Cette importante énergie à faible coût sert de moteur à la construction en 1968 d'une usine de production de phosphore à Long Harbour et à l'élaboration d'un projet de complexe industriel à Come by Chance. C'est aussi pour cette raison que le promoteur américain John Shaheen y construira plus tard une raffinerie de pétrole qui entre en activité en 1976.

J. R. Smallwood entretient également de bonnes mais discutables relations d'affaires avec un autre entrepreneur américain, John C. Doyle. En 1953, l'entreprise de ce dernier, Canadian Javelin, achète des actions de la société NALCO. Elle acquiert ainsi des droits miniers au Labrador. L'homme d'affaires y ouvre une mine de fer à Wabush au début des années 1960, près du site de l'exploitation minière de la société Iron Ore Company of Canada. C'est à cet emplacement que la collectivité de Labrador City verra le jour. Depuis toujours, le souhait le plus ardent de J. R. Smallwood est l'ouverture d'une troisième usine de papier dans la province. John C. Doyle l'exauce en fondant Labrador Linerboard Ltd. qui amorce en 1971 la construction d'une usine à Stephenville grâce à de généreuses subventions.

La construction d'infrastructures

Le gouvernement est bien conscient que la venue d'entreprises et les emplois qu'elles créent exigent l'amélioration d'infrastructures telles que routes, écoles et aérodromes. Il y consacre des sommes considérables, qui proviennent en grande partie du gouvernement fédéral. À la même époque, il pousse les habitants de petites collectivités isolées à s'installer dans des centres urbains en mesure de leur offrir des services de santé et d'éducation.

Les résultats

En 1980, le Conseil économique du Canada passe en revue la situation financière de la province. Il en vient à la conclusion que le programme d'industrialisation intensive des années 1950 se révèle un échec dispendieux. Ainsi, en ce qui concerne les ressources naturelles, le gouvernement semble avoir souvent ignoré le principe de rente économique, qui sous-entend que les ressources naturelles possèdent généralement une valeur commerciale intrinsèque supérieure aux coûts d'exploitation. Une meilleure évaluation de ces rentes aurait pu garnir les coffres du gouvernement. Terre-Neuve s'est évidemment privée des gains associés à l'exploitation forestière et minière et à la production hydroélectrique. (Conseil économique du Canada, p. 7). Dans son empressement à capitaliser sur de nouvelles entreprises et à créer des emplois, le gouvernement a laissé échapper les revenus qu'il aurait pu et dû obtenir malgré le versement de libérales subventions. Il en va de même de l'implantation de grandes entreprises comme celles situées à Long Harbour et Stephenville. Ici aussi, les énormes investissements consentis n'ont pas rapporté les revenus escomptés.

Lorsque J. R. Smallwood quitte son poste en 1972, il peut constater la transformation socio-économique de la province. La population compte 522 h000 habitants après une croissance démographique dépassant les 40 p. 100. Le revenu par habitant a connu une hausse de près de 300 p. 100. Il ne fait aucun doute que le niveau de vie moyen s'est fort embelli. Pourtant, le revenu par habitant reste tout de même 50 p. 100 plus faible que la moyenne canadienne. L'exode de ses habitants vers le reste du Canada et ailleurs demeure incessant. À la fin des années 1960, environ 4000 personnes partent néanmoins chaque année. En dépit de son acharnement et de ses investissements, le gouvernement ne réussit toujours pas à garantir un emploi à une couche de la population en expansion, les jeunes. Le taux de chômage trône obstinément à des sommets élevés, et le gouvernement provincial reste tributaire des paiements de transfert fédéraux. En vérité, la province a raté sa cible de plein développement.

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