La Commission de gouvernement (1934-1949)

L'assermentation d'une Commission de gouvernement le 16 février 1934 mettait fin à une période de gouvernement responsable, ouvrant un nouveau chapitre de l'histoire constitutionnelle de Terre-Neuve. Cette Commission était constituée de sept membres, désignés par le gouvernement britannique. Durant les 15 années suivantes, le pays serait mené sans élection ni assemblée délibérante.

Affectation des commissaires

Les super-ministères nécessaires au rétablissement de l'économie et des finances publiques, ceux des Ressources naturelles, des Services publics et des Finances, ont été confiés à trois commissaires de Grande-Bretagne. Les portefeuilles de la Justice, de la Santé et du Bien-être social et des Affaires intérieures sont allés à des Terre-Neuviens. Le gouverneur va agir comme président de la Commission, les six commissaires votant sur les mesures soumises à sa signature.

Commission de gouvernement, 1948
Commission de gouvernement, 1948
Le gouverneur Sir Gordon Macdonald préside une réunion de la Commission de gouvernement.
Tiré de "The Story of Confederation" dans The Book of Newfoundland. vol. 3, de Joseph R. Smallwood, Newfoundland Book Publishers, St. John's, T.-N.-L., p. 7. Tirage.

Terre-Neuve était encore un Dominion, toujours sous la responsabilité du Bureau des Dominions de Londres, mais sa constitution équivalait désormais à celles des autres colonies de la Couronne. Même si la Commission devenait effectivement son gouvernement, en pratique, ses pouvoirs étaient limités et elle devait faire autoriser toute politique majeure, y compris le budget, par le Bureau des Dominions.

Réforme économique

Les commissaires ont fait venir des spécialistes de l'extérieur pour diriger des ministères clés, et ont amélioré l'efficacité et l'imputabilité de l'administration. Mais changer la nature socio-économique de Terre-Neuve va se révéler plus complexe. Le rapport de la Commission Amulree (Commission royale de Terre-Neuve), publié en 1933, engageait le gouvernement à préparer la population de Terre-Neuve et du Labrador au retour du gouvernement responsable. La Commission a donc engagé divers programmes pour tenter de relancer et réformer l'économie et la société, mais elle n'avait pas de recette miracle face à la Crise économique. Malgré de notables améliorations en matière de services publics de santé et d'éducation, les niveaux de pauvreté et de recours à l'assistance publique sont demeurés extrêmement élevés tout au long des années 1930.

Opposition des élites

À l'occasion, les élites locales s'opposaient aux réformes de la Commission, rendant leur mise en œuvre difficile, voire impossible. Ainsi, la Commission a voulu éliminer le compromis historique entre le gouvernement et les principales Églises sur la confessionnalité des écoles, le jugeant ruineux et inefficace. Elle prévoyait y arriver en tirant parti de sa fonction publique, où le principe du mérite était institutionnalisé. Mais les Églises refusaient catégoriquement tout changement à cet égard et, devant l'opposition d'autres puissantes factions de la société terre-neuvienne, la Commission a été incapable de réformer le système d'éducation.

Il en découle que, si la Commission de gouvernement avait été officiellement instaurée pour « reposer le pays de la politique », ce repos n'aura été tout au plus qu'une interruption des politiques électorales. Les commissaires désignés ne craignaient peut-être pas de perdre leur siège à l'élection suivante, mais ils ont compris que, s'ils voulaient réussir quoi que ce soit, ils devaient s'attirer la faveur des détenteurs de pouvoir et d'influence dans la société de Terre-Neuve. Ainsi, avant de proposer une loi ou un programme public, la Commission a pris l'habitude de solliciter l'avis des Églises et de la Chambre de commerce. Les élites économiques et sociales conservaient ainsi leur influence sur l'État, ne fût-ce que par des voies officieuses, soumettant parfois elles-mêmes leurs demandes au gouvernement britannique. À quelques reprises, des groupes en ont appelé devant les tribunaux de décisions de la Commission, prétextant que celle-ci avait outrepassé ses compétences, mais sans succès.

Opposition du public

Jamais les gens du peuple n'étaient consultés, pas plus qu'ils n'avaient de moyen de retenir l'attention des parlementaires britanniques. De plus en plus insatisfaits de la Commission, les citoyens ont dû trouver d'autres façons de se faire entendre et d'amener le gouvernement à modifier ses politiques. Les courriers des lecteurs des journaux mobilisaient l'opinion publique et des pétitions circulaient. Des groupes de chômeurs s'organisaient pour manifester dans la rue contre le manque de travail et l'insuffisance des allocations de secours. La classe des affaires était elle aussi insatisfaite de la Commission, lui reprochant par exemple d'avoir raté l'occasion de mettre en chantier une troisième usine de pâtes et papiers. À la fin des années 1930, le Bureau des Dominions a tenté de rétablir la confiance de public dans la Commission, envisageant même la création d'un comité consultatif élu en matière de politiques.

Consciente des enjeux posés par sa nature non démocratique, la Commission s'est efforcée de rester en contact avec l'opinion publique. À quelques reprises, des Terre-Neuviens ont été nommés au sein de comités consultatifs sur des politiques spécifiques ou l'administration de règlements, comme le Woods Labour Board ou le Newfoundland Fishery Board. La Newfoundland Ranger Force a été instituée non seulement pour voir à l'application de la loi, mais aussi pour informer la Commission de la situation dans les régions rurales. La création d'une société de radiodiffusion publique témoigne d'un désir de publiciser le travail de la Commission, bien que la radio ait aussi été conçue comme une façon d'éduquer le public. Malgré ces efforts, la population trouvait la Commission détachée de la réalité du monde ordinaire.

Création de collectivités agricoles

Dans l'ensemble, les efforts de la Commission en vue de créer des industries de remplacement à la pêche se seront révélés infructueux. L'un des plus intéressants aura certes été le programme de colonisation rurale qui, en fondant un certain nombre de collectivités agricoles (Markland aura été la première), a voulu fournir de l'emploi tant aux chômeurs urbains qu'aux familles de pêcheurs démunies. Le rapport de la Commission Amulree ayant conclu que les Terre-Neuviens étaient à la fois trop dépendants du gouvernement et trop individualistes, on espérait que les nouveaux colons sauraient rapidement se passer de l'aide gouvernementale et apprendraient à coopérer pour réaliser des projets communautaires. Malheureusement, ces collectivités n'ont jamais prospéré et ont coûté à la Commission bien plus cher qu'elle n'avait escompté. Dans une visée similaire, la Commission a aussi appuyé la création de coopératives, mais là encore a connu des succès mitigés.

Étable communautaire à Markland, vers 1935
Étable communautaire à Markland, vers 1935
À la faveur du programme de colonisation rurale, environ 365 familles auront été déménagées de St. John's et de villages de pêche en crise vers des régions prometteuses pour le développement agricole. Markland a été la première de ces colonies.
Avec la permission de John Gosse.

Ramifications de la Seconde Guerre mondiale

Il est impossible de deviner combien de temps la Commission aurait duré dans des circonstances normales. Malgré qu'elle ait engagé certains progrès, elle était devenue impopulaire vers la fin des années 1930, surtout parce qu'elle n'avait pas su répondre aux attentes irréalistes des Terre-Neuviens. Mais la déclaration de guerre en 1939 a tout changé : jugeant qu'il serait peu patriotique de critiquer une Grande-Bretagne menacée d'invasion par l'Allemagne, les parties ont convenu de remettre à plus tard le débat constitutionnel. La Commission était ainsi sauvée, le temps de la guerre.

Terre-Neuve et le Labrador ont eu une grande valeur stratégique durant la Seconde Guerre mondiale. Les dépenses militaires et, à un moindre degré, la hausse du prix des exportations, ont créé une vague de prospérité. Au lieu d'être constamment endetté et dépendant des subsides de la Grande-Bretagne, le gouvernement de Terre-Neuve allait atteindre l'autonomie financière, et même prêter de l'argent au gouvernement britannique!

Fin de la Commission de gouvernement

Ceci dit, la Commission de gouvernement était vouée à disparaître après la guerre. La grande question, au milieu des années 1940, concernait la nature de ce qui allait la remplacer. La population de Terre-Neuve choisirait-elle simplement de revenir à la constitution qu'elle avait accepté de suspendre en 1933? Préférerait-elle poursuivre un modèle de Commission, peut-être réformé? Ou accepterait-elle de voir son pays devenir une province canadienne? Les mesures ultimes de la Commission ont visé à assurer le succès de cette dernière option. En 1948, par une courte majorité, les Terre-Neuviens et les Labradoriens choisissaient de devenir Canadiens, une décision qui deviendra officielle le 31 mars 1949.

Évaluation

Les avis sur la Commission sont partagés. Certains historiens ont loué les mesures novatrices qui lui ont permis de mieux servir la population rurale de Terre-Neuve et du Labrador, ainsi que l'audace de ses programmes sociaux et économiques. D'autres ont blâmé la Commission de n'avoir pas défendu les meilleurs intérêts de Terre-Neuve en laissant les États-Unis installer leurs bases militaires dans l'île sans concession commerciale en retour. Certains ont aussi avancé que la « dictature » avait été malhonnête en donnant son appui à la Confédération durant les campagnes référendaires de 1948. En dépit de ses succès administratifs, la Commission aura appliqué des politiques favorables à la Grande-Bretagne, au lieu de se comporter en bon gouvernement pour la population de Terre-Neuve et du Labrador.

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