La centralisation


["Le gouvernement appelait ça la centralisation.
Moi, j'dis plutôt que c'était une entourloupette."]
(Traduction libre)

Pat et Joe Byrne
“The Government Game”
Towards the Sunset
1983



Le gouvernement Smallwood mise sur la modernisation de l'économie par la diversification et l'industrialisation. Les services de base en santé, éducation, électricité et transport représentent un volet capital de cette stratégie économique. Cependant, les coûts seront considérables, car quelque 1200 petits villages isolés sont disséminés le long des 28 956 km de littoral de l'île et du Labrador. Peu de villages comptent plus de 500 personnes. En effet, 573 villages dénombrent 30 familles ou moins, parmi lesquels 126 ont entre 5 et 10 familles, 185 entre 11 et 20 familles, et 131 entre 21 et 30 familles. Il s'agit de convaincre ces villageois de s'installer dans des collectivités plus importantes et faciles d'accès.

La maison abandonnée de Bernard Cluett, Cape Cove, vers 1990
La maison abandonnée de Bernard Cluett, Cape Cove, vers 1990
Un troupeau de moutons broute paisiblement près de la maison abandonnée de Bernard Cluett, à Cape Cove. Bien que la collectivité de Cape Cove fut relocalisée dans le cadre du programme de centralisation, l'exode des villageois avait déjà commencé dans les années 1930 avec le déclin de la pêche à la morue et la chasse au phoque. Consultez le lien Cape Cove du site sur la relocalisation des Archives d'histoire maritime pour voir d'autres photographies.
Photographie de Mary Keefe. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-331.002), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La mise en place du programme de centralisation

Ce serait, paraît-il, une demande d'aide de la part d'habitants des îles de la côte nord-est de la baie Bonavista qui aurait motivé la mise sur pied du premier programme de relocalisation. Quoi qu'il en soit, le gouvernement Smallwood présente en 1954 un programme de centralisation visant à indemniser les personnes désireuses d'emménager dans une collectivité plus large de leur choix. C'est le ministère du Bien-être qui est chargé de sa mise en application. Il accorde en moyenne un montant de 301 $ par famille, montant qui peut atteindre jusqu'à 600 $. Cette somme est toutefois rarement versée. En date de 1959, le gouvernement avait aidé financièrement 29 villages, soit 2400 personnes, à se réinstaller ailleurs. L'indemnisation s'élevait à 146 027 $.

Vers la fin des années 1950, le gouvernement procède à l'évaluation de son programme de centralisation, qu'il aimerait élargir. En novembre 1957, l'économiste en poste au gouvernement provincial fait d'abord parvenir un questionnaire aux membres du clergé, aux médecins et aux membres d'autres professions. Ils doivent lui indiquer les villages de leur circonscription dont les habitants, selon eux, bénéficieraient d'une relocalisation. Les renseignements reçus signalent 199 villages totalisant 14 800 habitants. Dans son rapport final déposé en 1960, l'économiste souligne qu'il ne faut pas négliger les départs volontaires qui se font en marge du programme gouvernemental de centralisation. De fait, des familles et même des villages entiers partent d'eux-mêmes sans indemnisation. En l'absence de chiffres, le rapport affirme malgré tout que le nombre de départs volontaires est supérieur au nombre d'habitants indemnisés. (Report on Resettlement in Newfoundland, p. 11). Par ailleurs, il est évident que des villages potentiellement candidats à une relocalisation ne sont ni prêts ni désireux d'y participer.

La bande de terre étroite, appelé The Neck, dans le village de Haystack, vers 1915
La bande de terre étroite, appelé The Neck, dans le village de Haystack, vers 1915
Le déclin du commerce de la morue salée aura convaincu bien des gens à quitter le petit village de Haystack. Éventuellement, tous ses habitants ont déménagé ailleurs; Haystack fut abandonné sans indemnisation du gouvernement. Pour de plus amples renseignements, consultez le lien Haystack Photograph Collection des Archives d'histoire maritime.
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-319.059), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Une hausse de l'indemnisation s'impose indéniablement. Les déplacements sur de courtes distances sont monnaie courante puisque les gens choisissent leur nouvelle destination en fonction de liens familiaux et de leur appartenance religieuse. Ils remorquent par voie navigable leur habitation vers de nouveaux lieux. Inévitablement, d'autres coûts s'y greffent. Des familles doivent acheter ou construire une maison, s'acquitter des taxes municipales et payer des services. En principe, les familles choisissent des collectivités plus accessibles et offrant de meilleurs services. Néanmoins, leur situation économique ne s'améliore pas forcément. Les pêcheurs récemment établis dans leur nouvelle localité connaissent mal les zones de pêche. Leurs prises sont moins généreuses. Parfois, des familles reviennent dans leur village d'origine pour la saison de la pêche. Si tenir deux ménages comporte de grandes difficultés, les pêcheurs pensent que ce mode de vie est mieux que rien du tout.

Les répercussions sociales de la centralisation

Vers la fin des années 1960, les effets négatifs des répercussions sociales du programme de centralisation sont de plus en plus tangibles. Les familles vivant autrefois dans des régions rurales isolées peinent à s'adapter à une vie urbaine. L'existence même du programme alimente l'anxiété. Les gens craignent que le gouvernement ne les contraigne à abandonner leur village. On raconte que les institutions religieuses n'enverront plus de membres du clergé dans les villages isolés ou que les enseignants n'iront plus dans les lieux à part. Les plus folles rumeurs circulent et soulèvent de vifs débats qui dressent amis et familles les uns contre les autres. C'est que le programme de centralisation englobe tous les habitants d'un village. Chacun d'eux doit signer un document confirmant sa volonté de partir. Aucun versement n'a lieu avant le départ de toutes les familles.

L'église anglicane St. George's à Ireland's Eye, baie Trinity, T.-N.-L., 1960
L'église anglicane St. George's à Ireland's Eye, baie Trinity, T.-N.-L., 1960
Les fenêtres de l'église sont envoyées à L'Anse-au-Loup au Labrador et la cloche trouve un nouveau toit à Dover, baie de Bonavista. Les gens ont quitté Ireland's Eye, peu à peu, à partir de 1959 dans le cadre du programme de centralisation. En date de 1966, 16 personnes seulement habitaient la collectivité. Consultez le lien Ireland's Eye du site sur la relocalisation des Archives d'histoire maritime pour voir d'autres photographies.
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-317.520), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le député de la Chambre d'assemblée de la circonscription de baie Placentia à l'époque, Pat Canning, déclare qu'un mouvement de relocalisation s'était amorcé avant même l'élection du gouvernement en 1949. (Decks Awash, p. 52) Il n'a pas tort, mais bon nombre des personnes qui ont déménagé entre 1954 et 1965 mentionnent la pression qu'elles ont subie. Si le marchand principal décidait de s'en aller, ses concitoyens n'avaient plus vraiment le choix. Le programme de centralisation mène à la fermeture de 115 villages représentant environ 8000 personnes entre 1954 et 1965.

Le gouvernement est satisfait d'avoir atteint l'objectif du programme qui consiste à regrouper des populations dans de grands centres dorénavant facilement accessibles. La prestation de services s'en trouve ainsi facilitée. Pourtant, il n'y a pas suffisamment d'emplois, et le programme se révèle coûteux. En 1965, le gouvernement provincial persuade le gouvernement fédéral de lui prêter main-forte. Un partenariat fédéral-provincial enclenche un deuxième programme axé sur la réinstallation des gens dans des pôles de croissance (Programme de relocalisation).

English version

Vidéo: Resettlement (en anglais seulement)